Radu Umbreș, anthropologue, enseigne à l’École nationale d’études politiques et administratives de Bucarest. Il s’intéresse ici au phénomène de la désinformation…
Au-delà des campagnes ciblées visant à déstabiliser le gouvernement ou les institutions d’un pays, qu’est-ce qui pousse certaines personnes à lancer des « fake news » ou des théories du complot ?
Pour beaucoup, il s’agit de montrer aux autres qu’ils ont accès à de prétendues vérités que le public ignore. Cela les fait apparaître, ou leur donne l’impression d’apparaître, comme des personnes qui ne sont pas dupes, qui ne se laissent pas tromper par les autorités ou par les experts, qui voient au-delà des apparences. Ces individus se caractérisent par une forme de narcissisme doublée d’une forte méfiance envers l’État ou envers des institutions ayant des compétences dans le domaine en question. Il existe en outre une motivation sociale, à savoir le fait de séduire le plus grand nombre de personnes sceptiques vis-à-vis des versions officielles de la réalité. Ces « désinformateurs » s’estiment les héros d’une guerre contre le mal caché, et cherchent une validation de leurs propos parmi ceux ayant des penchants similaires.
Comment peut-on croire aux idées les plus farfelues ?
Les théories du complot ou les « fake news » font appel à nos intuitions, même si elles ne résistent pas à une analyse critique. Elles stimulent un sens du danger, une intuition faisant croire à l’existence de forces maléfiques et obscures qui maniganceraient des choses terribles sous l’apparence de la normalité. Les personnes les plus enclines à ce genre de pensées intuitives sont davantage prédisposées à croire aux théories du complot que celles qui se basent sur une pensée analytique, sur la réflexion. De même, les personnes moins ouvertes aux opinions des autres, plus âgées, plus isolées socialement ou méfiantes envers l’État sont le plus souvent les proies de ces croyances « conspirationnistes ». Des formes de narcissisme individuel du type « je suis plus intelligent que les autres », ou collectif, « nous sommes meilleurs que les autres », rendent aussi susceptibles de croire à de telles idées.
N’est-il pas paradoxal que ces théories gagnent du terrain alors que nous vivons dans une époque où l’information est disponible partout ?
Le problème avec cet immense univers du savoir à notre disposition est que chacun choisit l’information dont il a besoin, et pas nécessairement la plus correcte. De façon générale, notre naturel est attiré par tout ce qui légitime des croyances préexistantes, même si elles sont fausses. Il y a aujourd’hui tant d’informations sur Internet que l’on peut trouver des éléments à l’appui de n’importe quelle idée bizarre à laquelle il est possible de croire. Une certaine vigilance est donc de mise, et pas seulement pour les plus crédules, car nous ne sommes pas objectifs, nous avons tous de forts partis pris sans en être conscients. Selon moi, la meilleure solution pour se débarrasser de ces idées est d’en débattre avec des arguments empiriques et logiques. Même si nous ne comprenons pas toujours nos erreurs de jugement, nous nous rapprochons de la vérité lorsque nous analysons les idées des autres, lorsque nous discutons. Par ailleurs, ignorer ou ridiculiser ceux qui croient aux théories du complot ou diffusent des « fake news » est contre-productif. En revanche, ces derniers peuvent être convaincus si on leur présente de bonnes raisons de changer d’opinion.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.