Avant septembre dernier, il n’y avait qu’à l’Institut des maladies cardiovasculaires de Târgu Mureş que les enfants atteints de problèmes cardiaques pouvaient être opérés. Un second centre, basé à Cluj, s’était vu contraint de fermer ses portes faute de praticiens. Face à un nombre conséquent d’enfants souffrant de malformations du cœur, une petite ONG de Bucarest s’est battue pour doter la capitale d’un centre d’excellence en chirurgie cardiaque pédiatrique, le premier jamais ouvert en Roumanie dans un hôpital public.
« Chaque année en Roumanie, entre 1200 et 1500 enfants naissent atteints d’une anomalie cardiaque. Sur ce total, ils ne sont que deux à trois cents à pouvoir se faire opérer. Mettez-vous à la place des parents, comment vous sentiriez-vous si votre enfant était ainsi laissé de côté ?… » Le docteur Cătălin Cârstoveanu de l’hôpital pédiatrique Marie Curie de Bucarest connaît bien ce genre de situation. Chef de la section de thérapie néonatale intensive, il s’occupe des bébés atteints de cardiopathies congénitales et souvent, il les voit mourir sans pouvoir intervenir à temps. « Dans la plupart des cas, ces enfants avaient de bonnes chances de survie », affirme Alex Popa de l’association Inima Copiilor (Le cœur des enfants) qui, en 2009, a décidé de se mobiliser pour doter la capitale de son premier centre de chirurgie cardiaque pour enfants au sein de l’hôpital Marie Curie. Avant l’ouverture du centre, les bébés porteurs de cardiopathies congénitales étaient sur liste d’attente à l’institut de cardiologie de Târgu Mureş, les plus chanceux allaient se faire opérer à l’étranger. « Mais pour chaque intervention en Occident, l’Etat devait débourser entre 20 et 30.000 euros, ce qu’il n’a évidemment pas souvent fait », ajoute Alex Popa.
Dans un effort collectif sans précédent, opinion publique, médias et responsables de la Santé ont alors bataillé pour obtenir le financement nécessaire à l’ouverture de ce nouveau centre spécialisé en chirurgie cardiaque pour enfants. « Inima Copiilor a lancé une action humanitaire unique, soutient Alex Popa. La preuve, 1,5 million d’euros ont été récoltés auprès de la population, auxquels se sont ajoutés 400.000 euros de Procter and Gamble Roumanie et du réseau pharmaceutique Sensiblu, et enfin 2,3 millions d’euros versés par le ministère de la Santé pour l’achat des équipements, dont notamment le premier appareil d’angiographie biplan de Roumanie (d’un coût d’un million d’euros, cet équipement de haute technologie permet d’effectuer une procédure en urgence, et donne ainsi plus de temps avant la correction chirurgicale définitive, ndlr). »
Au total, 4,2 millions d’euros ont donc été investis dans la salle d’opération, deux chambres de soins intensifs, un laboratoire de cathétérisme et une unité de stérilisation. La climatisation a également été installée sur toute une aile de l’hôpital pour une meilleure prise en charge des enfants. Mais le centre de chirurgie cardiaque de l’hôpital de pédiatrie Marie Curie a dû attendre plus de deux ans avant d’accueillir ses premiers jeunes patients – tous les équipements étaient pourtant fonctionnels dès février 2011. « On n’avait pas de personnel spécialisé, les chirurgiens pédiatres se font très rares en Roumanie ; dans un premier temps, on aurait certainement dû inviter des spécialistes étrangers pour opérer aux côtés de nos médecins », estime Alex Popa. Le manque de volonté des décideurs a aussi fait que le centre resta prisonnier de la bureaucratie et donc fermé, tandis que des enfants continuaient à mourir. Ce ne fut qu’en août dernier que le ministère de la Santé a finalement mis en place un programme cohérent de développement de la chirurgie cardiaque pédiatrique, permettant enfin l’inauguration du centre de Marie Curie.
« Ce tout petit patient a été le premier à avoir bénéficié de notre appareil d’angiographie. L’intervention fut des plus simples, mais sans elle on aurait perdu le bébé »
« Ce projet est une première. Pour sa mise en place, on a dû briser toutes les barrières de la bureaucratie, en faisant la sourde oreille au mot « non » », a récemment affirmé le secrétaire d’Etat à la Santé, Raed Arafat, lors d’une conférence de presse. Le ministère de la Santé a par ailleurs signé un protocole de collaboration avec la clinique San Donato en Italie, un pôle de référence dans le domaine des cardiopathies congénitales, et avec l’association Bambini Cardiopatici nel Mondo, afin d’assurer des stages de formation pour les professionnels roumains dans les cliniques italiennes parallèlement à des missions périodiques d’experts italiens en Roumanie.
Le 23 septembre dernier, la salle d’opération du centre de chirurgie pédiatrique du cœur de Marie Curie a finalement été inaugurée, et a accueilli une équipe de grands spécialistes italiens, dont le fameux cardiologue Mario Carminati. Epaulés par des confrères roumains, ils ont alors opéré six enfants dont un nouveau-né âgé de 30 heures seulement. « Ce fut une grande chance de se retrouver à l’hôpital au moment où l’équipe italienne était en mission », raconte le père. Atteinte d’une transposition des gros vaisseaux, Sofia avait besoin d’une procédure d’angiographie en urgence lui permettant de rester en vie jusqu’à l’opération finale. « Ce tout petit patient a été le premier à avoir bénéficié de notre appareil d’angiographie. L’intervention fut des plus simples, mais sans elle on aurait perdu le bébé », affirme Cătălin Cârstoveanu, tout en ajoutant que pour la correction cardiaque définitive, Sofia s’est fait opérer à la clinique San Donato en Italie.
« Au début, j’ai voulu qu’on l’opère à Târgu Mureş, mais ce fut impossible, on m’a dit que l’agenda d’intervention était archi plein », témoigne le père de Sofia. Ce qui ne surprend pas le docteur Cârstoveanu. « A l’étranger, l’incidence des enfants cardiaques décédés dans les trente jours qui suivent l’opération est très faible, de 2 à 4% tout au plus. Mais comment pourrait-on inverser le taux de mortalité post-opératoire en Roumanie si l’on n’arrive même pas à faire entrer tous ces enfants en salle d’opération ? », lance-t-il. Le ministère de la Santé assure de son côté que Bucarest ne restera pas la seule ville concernée par le programme de développement de la chirurgie cardiaque infantile. Mis en place pour une période de 34 mois, le projet devrait conduire à l’inauguration de deux autres centres de chirurgie cardiaque pédiatrique à Iaşi et à Cluj, et à la modernisation de celui de Târgu Mureş.
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Tristes chiffres
Bien que le nombre d’enfants roumains décédés durant leur première année de vie ait fortement diminué depuis 1990, la Roumanie continue d’afficher l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés d’Europe, voire le plus élevé en 2013 : 9,3 décès pour 1000 naissances. Les statistiques sont des plus choquantes : un bébé roumain meurt toutes les cinq heures. Les principaux facteurs sont la prématurité, les anomalies congénitales et les accidents. De plus, selon un rapport européen sur la santé périnatale publié en 2013, la Roumanie enregistre le plus grand nombre de bébés décédés en maternité. En 2010, six prématurés sont morts dans un incendie déclenché suite à une défaillance de l’air conditionné dans la section de thérapie intensive de la maternité bucarestoise de Giuleşti.
Ioana Stăncescu (décembre 2013).