Nouvel entretien avec Otilia Nuțu*, spécialiste du secteur de l’énergie au sein du groupe de réflexion Expert Forum, qui décrypte cette fois-ci la tempête sévissant sur le marché du gaz et de l’électricité…
Flambée des factures, crainte d’une rupture des stocks alors que l’hiver approche, comment en est-on arrivé là ?
Il s’agit de l’effet conjugué de plusieurs facteurs se manifestant au niveau global. Après la crise provoquée par la pandémie en 2020, l’économie mondiale a rebondi et la demande d’énergie a fortement augmenté. En revanche, l’offre n’a pas tenu le rythme, car relancer la production, notamment celle du gaz, prend du temps et implique des coûts. Ensuite, l’Europe avait réalisé des stocks importants en 2019, ne sachant pas si Gazprom – le principal fournisseur d’énergie russe, ndlr – allait poursuivre ses livraisons de gaz via l’Ukraine. Cet excès d’énergie a généré une baisse des prix en 2020, d’où la hausse importante ressentie cette année. Mais ces stocks ont fini par s’épuiser, et aujourd’hui, Gazprom en profite pour faire pression en faveur de la mise en fonction du controversé projet Nord Stream 2 (1). À ce contexte régional s’ajoutent des modifications législatives adoptées ces dernières années par la Roumanie qui ont stoppé les investissements dans de nouveaux sites de production. Ces amendements ont bloqué le projet d’extraction de gaz en mer Noire, et amené Romgaz et Petrom – deux fournisseurs d’énergie roumains, ndlr – à réduire leur production, l’exploitation de certains gisements étant devenue non rentable (2).
* À lire ou à relire, notre premier entretien avec Otilia Nuțu du 27 février dernier : https://regard.ro/otilia-nutu/
Les autorités roumaines disposent-elles de solutions pour réduire les factures des usagers ?
Certaines voix appellent à suivre l’exemple de l’Espagne qui prévoit de surtaxer les bénéfices extraordinaires des producteurs. Or, la Roumanie a déjà introduit une telle mesure en 2013 pour le gaz. En outre, les grands producteurs d’électricité, Hidroelectrica et Nuclearelectrica, sont des compagnies publiques, leurs dividendes rentrent de toute façon dans les caisses de l’État. Une nouvelle taxe ne ferait que transférer l’argent d’une poche à l’autre. L’autre solution envisagée, c’est-à-dire plafonner les prix, équivaudrait toujours à amputer les recettes publiques ; en Roumanie, 80% de la production d’électricité et 50 % de celle de gaz sont contrôlés par l’État. Et on ne peut évidemment pas plafonner le prix de l’électricité et du gaz importés.
Vous avez évoqué le gaz de la mer Noire, où en est le projet de loi à cet égard ?
Ce projet est toujours en discussion au parlement, et je crains qu’une fenêtre d’opportunité ne soit en train de se fermer car le contexte a changé. La Commission européenne a adopté en juillet le plan « Fit for 55 » (Pacte vert pour l’Europe), qui vise à atteindre la neutralité climatique en 2050. Les conditions sont devenues plus restrictives, surtout en ce qui concerne les émissions de méthane. Elles imposent des coûts supplémentaires pour moderniser les réseaux et la production d’énergie. Conséquence, en l’absence d’une décision rapide concernant l’extraction de gaz en mer Noire, tout investissement dans ce domaine sera moins profitable d’ici 2025. La Roumanie risque de rater un nouveau train, après celui de la modernisation de l’extraction du charbon et celui du nucléaire.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.