Entretien réalisé le mercredi 26 avril en milieu de journée, par visioconférence et en anglais.
Où en est la transition numérique en Roumanie ? Éléments de réponse avec Olivia Vereha, co-fondatrice de Commit Global, jusqu’à présent connu sous le nom de Code4Romania, ONG proposant des solutions numériques en Roumanie. Commit Global a notamment mis en place des plateformes d’aide pendant l’épidémie de Covid-19, et à destination des réfugiés ukrainiens…
Comment se déroule la transition numérique en Roumanie ?
En matière de technologie, le pays possède parmi les meilleures ressources informatiques et numériques dans le monde, mais la plupart des entreprises sont des sociétés étrangères délocalisées. Peu de technologies sont réellement produites sur place, à part peut-être celles de UiPath et de quelques autres. Dans le service public, la technologie est au service de l’utilisateur, elle est là pour l’accompagner et faciliter ses démarches, et elle se doit d’être inclusive, notamment pour les personnes âgées ou avec un handicap. Malheureusement, la transition numérique n’a pas vraiment commencé, car il n’existe pas de stratégie nationale avec une charte à suivre concernant les nouvelles technologies, comme on peut le voir dans d’autres pays. Il y a des initiatives par-ci, par là, mais tout cela est fait de façon assez chaotique. Si l’argent ne manque pas, les directions à prendre ne sont pas clairement définies. Il arrive que l’on fabrique des choses qui « brillent » pour suivre une tendance, comme c’est le cas avec l’intelligence artificielle, mais nous n’avons pas forcément les fondations nécessaires pour les développer. Par exemple, comment avoir un ChatGPT roumain performant alors qu’il n’y a même pas de registres de données précis dans le pays ?
Que faut-il mettre en place pour qu’une transition numérique fonctionne ?
D’abord, il faut comprendre quels sont les problèmes et les besoins réels des utilisateurs. Il arrive souvent que des institutions publiques utilisent des outils en pensant avant tout au résultat, à ce qui importe pour leur institution, comme récolter des données et établir des rapports. Mais elles oublient que les citoyens ont des besoins spécifiques, qu’il s’agisse d’enfants, de personnes avec un handicap, ou de Roumains de la diaspora qui ont besoin d’interagir avec les services publics. Ensuite, il faut des spécialistes qui puissent examiner la législation et les procédures afin de voir comment tout ce qui a été fait sur papier pourrait être traduit en solutions numériques. Des gens capables de sortir du problème qu’ils essaient de résoudre et de comprendre à quoi ressemble le contexte autour de ce problème dans le but de proposer quelque chose d’efficace. Cela signifie aussi un système commun entre les institutions pour une meilleure communication des données. Sinon, il n’y aura que des îlots de numérisation, comme c’est le cas actuellement. Enfin, avec la décentralisation des budgets, les petites institutions et administrations locales n’ont pas forcément ni l’expertise ni la capacité d’élaborer leurs propres outils numériques. Or, dans la majorité des cas, les solutions numériques dont les institutions ont besoin, qu’elles soient grandes ou petites, sont très similaires. Mais souvent, elles vont payer le même outil chacune de leur côté… C’est un gaspillage des ressources et une incohérence.
En mars, le gouvernement a mis en place « Ion », le premier conseiller gouvernemental basé sur une intelligence artificielle. Que pensez-vous de cette initiative ?
L’intelligence artificielle est très utile pour collecter et traiter une immense quantité de données, qui peuvent être ensuite faciles à retrouver. Il est formidable que des chercheurs et développeurs collaborent pour créer un projet d’IA comme « Ion », car en général, ils se cantonnent à la recherche sans mettre en place des projets concrets. Toutefois, si l’initiative « Ion » est un très bon signe pour la transition numérique, je pense que cette technologie est encore trop sophistiquée pour la population roumaine, qui n’a pas une éducation au numérique très développée. Ma crainte, si un tel projet tombe à l’eau, est que la confiance des citoyens envers les nouvelles technologies s’érode, et qu’ils n’en voient plus l’utilité.
Propos recueillis par Marine Leduc.