Alison Mutler a été responsable de l’agence de presse Associated Press à Bucarest pendant 25 ans jusqu’en 2019. Aujourd’hui, entre autres activités, elle est correspondante pour le site d’informations universul.net et collabore à Radio Free Europe. Réflexions sur son métier et le pays où elle réside depuis trente ans…
Quel est le plus important dans l’exercice de votre métier ?
À mon avis, il est essentiel de proposer un journalisme qui soit le plus objectif et le plus sérieux possible, surtout dans le contexte actuel où les informations fausses ou pas suffisamment vérifiées pullulent. En ce sens, le rôle des grandes agences internationales comme l’Agence France-Presse, Associated Press ou Reuters est plus important que jamais. Elles sont la source principale d’informations des grands médias, elles doivent donc être toujours plus impartiales face au foisonnement de nouvelles peu objectives qui abondent sur les réseaux sociaux. D’autant qu’il est aussi crucial pour les démocraties de préserver une presse libre, saine et sérieuse. En disant cela, si je suis par exemple favorable au financement des médias par l’État, il est aussi tout à fait nécessaire que l’indépendance éditoriale soit préservé. Ce qui est loin d’être garanti dans beaucoup de pays où la démocratie est déjà mise à mal dans plusieurs domaines.
Comment jugez-vous la situation politique en Roumanie ?
J’espère que les années difficiles sont derrière nous. Il y a cinq ans, la Roumanie a connu un déferlement de manifestations notamment à cause des attaques portées contre la lutte anti-corruption. Aujourd’hui, la société civile s’est consolidée, il y a un gouvernement de coalition qui fait des efforts, il fait aussi des erreurs mais c’est assez normal. L’important, à mon sens, est que la direction prise soit clairement pro-européenne. D’un autre côté, on peut se demander ce que souhaite le principal parti d’opposition, le Parti social-démocrate, qui reste le plus grand parti au Parlement. Est-il véritablement en train de se moderniser, est-il pro-européen, a-t-il tourné la page Liviu Dragnea* ? Ce n’est pas clair. Or, selon moi, le pays ne peut plus se permettre de stagner, et il n’a qu’une seule option, c’est la voie européenne.
* Liviu Dragnea est l’ancien président du Parti social-démocrate, condamné et emprisonné depuis 2019 pour abus de pouvoir.
Les Roumains sont souvent très durs vis-à-vis de leurs dirigeants, qu’en pensez-vous ?
Ils sont effectivement très critiques et voient toujours le verre à moitié vide, de façon générale. D’un côté, les Roumains ont beaucoup de qualités, ce sont des gens talentueux à plusieurs égards. De l’autre, ils font souvent des blocages, et ne sont pas assez optimistes ou constructifs. C’est peut-être ma mentalité protestante qui s’exprime, mais je ressens qu’il manque ici un esprit de communauté, le chacun pour soi est devenu la norme. Certes, après la chute du communisme, cela se comprend. Mais trente ans se sont tout de même écoulés. L’idée de construire quelque chose ensemble doit s’affirmer. Je pense aussi que les Roumains méritent un peu plus de compassion et d’élégance les uns vis-à-vis des autres. Cela ne coûte rien et cela peut faire la différence. Par ailleurs, il y a beaucoup de choses en Roumanie dont certains pays en Europe de l’est ne jouissent pas, je pense à la liberté de la presse, par exemple, qui est loin d’être aussi grande en Hongrie, en Pologne ou en Bulgarie. Ceci étant, il faut rester très vigilant.
Propos recueillis par Olivier Jacques.