Entretien réalisé le mercredi 8 mars dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis Amsterdam).
Plongée dans l’univers des gènes avec le chercheur Mihai Netea, membre de l’Académie royale néerlandaise des arts et des sciences, et auteur d’un ouvrage intitulé « O istorie genetică (incompletă) a românilor » – Une histoire génétique (incomplète) des Roumains…
D’où viennent les Roumains en tant que peuple ? Se distinguent-ils de leurs voisins de par leurs gènes ?
Leur origine, à l’instar de celle de toutes les populations vivant actuellement sur Terre, remonte à l’Afrique de l’est et du sud, d’où est parti l’homme moderne il y a 300 000 ans. Ce dernier a d’abord colonisé l’Afrique dans son ensemble, puis les autres continents, en migrant à travers le Moyen-Orient il y a environ 70 000 ans. Les premières populations d’Homo sapiens à fouler le territoire actuel de la Roumanie datent d’il y a 50 000 ans. Toutefois, si l’on regarde la structure génétique de la population d’aujourd’hui, on peut dire qu’elle a été constituée il y a environ 3 000 ans. Et pour répondre à votre deuxième question, d’un point de vue génétique, les Roumains diffèrent très peu de leurs voisins. Certes, de petites différences existent, mais en termes de profil général des populations humaines, ils sont très semblables aux peuples qui les entourent.
Vous expliquez dans votre livre que les Européens conservent environ 1,5 % de l’ADN de l’Homme de Néandertal, un pourcentage infime qui continue toutefois à jouer un rôle crucial dans leur vie. C’est-à-dire ?
Les gènes provenant des Néandertaliens nous protègent notamment contre certaines infections bactériennes et virales, mais sont aussi responsables de la pigmentation de notre peau. Si les infections auxquelles l’homme est confronté en Europe diffèrent de celles rencontrées en Afrique, l’Homme néandertalien a eu 700 000 ans pour s’y adapter. Dans notre génome ont donc été sélectionnés les gènes responsables de la réponse immunitaire contre ces infections, qui se sont avérés très utiles pour l’homme moderne. Selon plusieurs études, les variants génétiques influençant notre défense immunitaire contre le Covid-19 sont eux-mêmes hérités des Néandertaliens. En ce qui concerne la pigmentation, il faut souligner l’importance de la vitamine D, qui est en partie produite dans la peau et dépend des rayons ultraviolets. Une peau foncée produit plus difficilement cette vitamine. Si l’on vit en Afrique, où l’exposition au soleil est très forte, la peau foncée protège contre les maladies provoquées par le soleil. Mais en Europe, où il fait plus froid, le déficit de vitamine D est un problème, c’est pourquoi une couleur plus claire de la peau a été sélectionnée afin de permettre une meilleure synthèse de cette vitamine cruciale.
Parmi les facteurs à même d’influencer l’évolution génétique des humains, vous évoquez les pandémies et la migration. Pouvez-vous détailler ?
On doit tout d’abord préciser que les changements dans le profil génétique d’une population sont tout à fait normaux. Les infections sont parmi les facteurs qui influencent le plus la génétique humaine, qui se transforme afin de renforcer notre immunité. Tout type de pandémie, qu’il s’agisse de grippe ou de coronavirus, entraîne ainsi une sélection génétique. Un autre facteur est bien sûr la migration ; le monde d’aujourd’hui est plus ouvert, on voyage beaucoup plus et cela amène à un brassage des populations. Ce n’est pas quelque chose de mauvais, au contraire, cette interaction génétique a depuis toujours eu des influences bénéfiques. Les sociétés les plus florissantes sont les plus variées génétiquement. Un exemple… Lorsque l’Empire romain était à son apogée, 80% de sa population n’était pas née dans la péninsule italique mais dans d’autres provinces, notamment au Moyen-Orient. De façon générale, les périodes d’expansion économique sont marquées par une plus grande diversité génétique.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.