Entretien réalisé le lundi 16 janvier dans la matinée, en français, au studio de RFI Roumanie de Bucarest.
Dans cet échange, Maud Joseph, directrice de la Chambre de commerce et d’industrie franco-ukrainienne à Kyiv, raconte comment sa vie et son travail ont été bouleversés par la guerre…
Comment vivez-vous le conflit en Ukraine ? Quel est votre quotidien ?
Depuis le 24 février 2022 – date du début de la guerre en Ukraine, ndlr –, ma vie a été bouleversée, comme celle de tous les Ukrainiens. Je vis aujourd’hui entre Paris et Kyiv, ce qui n’était pas le cas avant le conflit ; je résidais alors en Ukraine, et ce depuis dix ans. Le quotidien reste difficile. Quand je suis à Paris, je reçois plusieurs fois par jour les mêmes alertes que les habitants de Kyiv. Certes, depuis le début de l’été, les choses se sont un peu calmées, en tout cas dans la capitale. À la Chambre de commerce, nous avons repris nos activités en présentiel. Le 2 juin, on a organisé une rencontre, en sous-sol ; on a senti qu’il était nécessaire que nos membres se revoient, échangent sur la situation. Et le 12 juillet, nous avons même pu remettre le prix de la femme d’affaires, avec une cérémonie en petit comité. Jusqu’à cette nouvelle attaque sur Kyiv, le 10 octobre dernier. Et aujourd’hui, à Dnipro, dans le centre du pays… C’est bien toute l’Ukraine qui vit désormais sous la peur des bombardements, et pas seulement l’est du pays. Mais comme je le disais, nous continuons de travailler, malgré tout, notamment en ligne. La période de pandémie nous avait aussi habitués à échanger de cette manière afin de ne pas perdre le contact avec les membres de la CCI – qui en compte 160, ndlr.
Comment collaborez-vous avec les autorités françaises ?
Si notre Chambre est connue en Ukraine, ce n’est pas forcément le cas en France. Dans un tel contexte, il a fallu se faire davantage connaître auprès du ministère des Affaires étrangères, ou de Bercy – ministère français de l’Économie et des Finances, ndlr. Nous avons notamment organisé des conférences et des réunions pour faire comprendre qu’il fallait aider l’Ukraine. Et nous sommes très soutenus par le réseau CCI France International. De son côté, dès le début du conflit, le président Zelensky a demandé aux grands groupes étrangers de ne pas s’arrêter de travailler ; il fallait que le système économique ukrainien continue de fonctionner. À la Chambre, comme je l’ai déjà mentionné, nous n’avons cessé d’être actifs, même si au début de la guerre, on naviguait à vue, au jour le jour. Aujourd’hui, la situation s’est améliorée, mais à chaque événement, on pose toujours les mêmes questions… Y a-t-il un abri ? Avez-vous un générateur ? Avez-vous Starlink (fournisseur d’accès à Internet, ndlr) ? Tous nos événements, que ce soit à Paris ou à Kyiv, étant retransmis en ligne.
Dans quel état d’esprit se trouvent les entrepreneurs français établis en Ukraine ?
On sent un vrai lien avec l’Ukraine, ils ne lâcheront pas et sont clairement décidés à continuer leur entreprise dans ce pays. Je pense notamment à ces agriculteurs français qui ont dû semer et récolter sous les bombes, et trouver des solutions pour pouvoir exporter leur marchandise. De façon générale, tous ces entrepreneurs réfléchissent à l’avenir et essaient de se repositionner. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la CCI franco-ukrainienne va lancer un appel à projets qui s’adresse à eux afin de financer de nouvelles façons de se développer. Il faut aller de l’avant, et les Ukrainiens le montrent formidablement, au-delà de la rage et de la colère face à une guerre incompréhensible.
Propos recueillis par Olivier Jacques.