Entretien réalisé le jeudi 12 janvier en début de soirée, par téléphone et en roumain.
Andreea Bragă est coordinatrice des plaidoyers au Centre Filia. Elle se penche ici sur la violence domestique en Roumanie…
Quel est le bilan aujourd’hui des violences commises contre les femmes au sein des foyers roumains ?
Je voudrais commencer par saluer une prise de conscience de plus en plus évidente vis-à-vis du phénomène de la violence domestique, aussi bien au sein de la société civile que de la classe politique. Selon un baromètre réalisé fin décembre 2022, le nombre de Roumains qui ne tolèrent pas la violence domestique est en hausse. Certes, la plupart d’entre eux sont issus du milieu urbain et ont un niveau d’éducation élevé. Au pôle opposé, on retrouve des groupes plutôt conservateurs, religieux, qui encouragent un mode de vie patriarcal. Encore aujourd’hui, un Roumain sur quatre considère comme dépourvu de gravité le fait qu’une femme se voit interdire par son partenaire de disposer librement de son argent ou de sortir seule en ville.
Quand peut-on parler de violence domestique ?
En général, la violence domestique ne débute pas de façon subite. Avant l’agression physique, il y a souvent l’agression psychologique. La victime se retrouve alors isolée, elle perd contact avec sa famille, ses proches, souvent son partenaire ne lui permet plus d’aller travailler afin de la contrôler plus facilement. Elle finit par être persuadée qu’elle n’est capable de rien et perd confiance. C’est la raison pour laquelle ces femmes ont souvent peur de partir et de se retrouver seules sans argent et sans soutien. Les statistiques montrent que les victimes de violence conjugale reviennent auprès de leur agresseur jusqu’à neuf fois avant de pouvoir s’en libérer. Si les résultats du baromètre récent auquel je faisais référence sont de bon augure, il est urgent que l’État et la société prennent davantage conscience du phénomène, et ce sans porter de jugement. Quand on est témoin d’une scène de violence, il faut téléphoner au numéro d’urgence, le 112 ; l’appel peut rester anonyme, il est automatiquement enregistré et peut servir de preuve en cas de procès.
Comment les autorités pourraient-elles améliorer la situation ?
Les statistiques montrent que dans les cas de violence domestique, 85% des victimes adultes sont des femmes.* Mais il y a aussi la violence envers les enfants, avec un nombre égal de victimes filles et garçons. Durant les six premiers mois de l’année dernière, la police roumaine a procédé à 40 000 interventions pour violence conjugale ; 9400 se sont soldées par la mise en place d’une ordonnance restrictive temporaire. Malheureusement, les cas où la police ferme les yeux ou minimise la gravité des faits perdurent, notamment en milieu rural. Il faudrait, par exemple, que les autorités locales financent la construction d’abris d’urgence pour les victimes. Aujourd’hui, au niveau national, il n’y a que 41 logements sécurisés gérés par les Directions générales d’assistance sociale et de protection de l’enfance. Un nombre bien inférieur à la demande et aux standards européens qui recommandent qu’il y ait au moins une place dans un abri pour 10 000 femmes. Surtout, il faudrait que l’État investisse dans les ressources humaines, et qu’il forme des spécialistes capables de prendre en charge ces victimes.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.
* En 2017, la Roumanie se plaçait deuxième après la Finlande pour le nombre de femmes assassinées par leur partenaire (source : Eurostat) : https://fr.statista.com/infographie/20083/femmes-tuees-par-partenaires-intimes-par-pays-en-europe/