Marina Drugă est la coordinatrice de l’initiative LIFE bison, en coopération avec le World Wildlife Fund (WWF). Elle livre un aperçu de ce projet de « réensauvagement » des Carpates du sud avec des bisons…
Comment se déroule le projet LIFE bison* ?
Ce projet de réintroduction des bisons a commencé en 2012 avec Rewilding Europe**, et en 2016 avec LIFE bison, programme qui devrait s’étendre sur au moins vingt-cinq ans. Aujourd’hui, nous avons une population d’environ 90 spécimens dans les Monts Ṭarcu, près de la commune d’Armeniș – département de Caraș-Severin, ndlr –, qui sont totalement libres. L’objectif est d’en avoir une centaine à la fin de l’année. Ensuite, nous souhaitons réintroduire des bisons dans d’autres zones du pays, tout en réalisant des contrôles sur les bisons déjà en liberté, car ils sont encore vulnérables. En parallèle, nous organisons des activités éducatives avec cinq écoles locales afin de sensibiliser les jeunes à la protection de la biodiversité. Nous travaillons aussi avec les autorités pour constituer une base légale forte pour la protection et la gestion des espèces sauvages.
* LIFE bison fait partie des programmes « LIFE » pour la protection de la biodiversité menés et financés par l’Union européenne.
** Rewilding Europe (« Réensauvagement » Europe) est une ONG basée aux Pays-Bas dont le but est de recréer des espaces plus sauvages dans différentes régions d’Europe.
Pouvez-vous expliquer le concept de « réensauvagement » ?
Il s’agit d’un concept récent et complexe. Il est reconnu dans le monde scientifique, mais fait encore l’objet de débats. Les premières idées sont apparues dans les années 2000, avec un livre de Frans Vera aux Pays-Bas (Grazing Ecology and Forest History, 2000, ndlr), puis avec les travaux de Sergueï Zimov en Russie, qui mettent l’accent sur le fait que le processus de « réensauvagement » est un modèle d’avenir pour la conservation des espèces et pour rétablir un équilibre au sein de nos écosystèmes. L’objectif est de réaliser une sorte de reconstruction écologique sans pour autant revenir à la situation d’avant, ce qui est impossible après le passage de l’homme, et d’améliorer la biodiversité en créant de nouveaux équilibres. On met l’accent sur les interactions entre différentes communautés d’organismes, et sur les interactions de ces communautés avec leurs environnements en utilisant des processus écologiques et naturels. Il a été démontré scientifiquement que la perte de grands mammifères herbivores, bisons, taureaux, chevaux sauvages, etc., a mené à des changements drastiques dans les écosystèmes de la planète, voire jusqu’au dérèglement climatique, à côté d’autres facteurs comme les émissions de CO2. Beaucoup de chercheurs pensent que la réintroduction de grands herbivores serait donc un mécanisme naturel de lutte contre ces perturbations.
Quels sont les résultats aujourd’hui en Roumanie ?
Il est un peu prématuré de parler du processus de « réensauvagement » en Roumanie parce nous n’avons libéré les premiers spécimens qu’à partir de 2014. Ils ont ouvert le chemin et ont dû s’adapter, difficilement, à leur environnement. C’est un processus très long où il y a des pertes. Nous venons de recevoir les premiers résultats des analyses récoltées cette année, elles vont nous permettre de voir les habitats que les bisons ont le plus investis. À partir de là, d’autres études suivront. Nous travaillons avec des universités européennes pour aborder au mieux la complexité de cette démarche, et de quelle manière on peut déterminer son impact réel. Toutefois, la bonne nouvelle est qu’il existe une reproduction naturelle ; il y a eu près de 28 naissances de 2017 à 2020, et au moins la moitié a survécu. De plus, ce type de programme permet d’impliquer les communautés et de développer un tourisme écologique, tout en les aidant à se reconnecter à la nature. Dans notre zone, celle d’Armeniș, les locaux ont commencé à développer des petits projets autour de la présence du bison, comme des maisons traditionnelles rénovées, des artisanats revalorisés, ainsi que des parcours pour observer les bisons.***
Propos recueillis par Marine Leduc.
*** Beau documentaire sur le sujet réalisé par Emmanuel Rondeau (9 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=qBO9kniDYro