Les rétrocessions n’en finissent pas d’encombrer la justice roumaine. État des lieux avec l’avocate Maria Florentina Iordache, membre du Barreau de Bucarest…
Le sujet des rétrocessions de biens ou de terrains suite à la chute du régime communiste semble moins présent dans les médias. Qu’en est-il exactement ? L’État a-t-il progressé pour que les particuliers recouvrent ce qui leur appartenait ?
Pas du tout. Bien que l’on en parle moins, il reste un très grand nombre de dossiers administratifs non résolus par les autorités publiques. Le rythme de travail aussi bien de la Commission spécialisée auprès de la municipalité de Bucarest que celui de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés est trop lent. D’autant qu’une dérogation leur permet de disposer de soixante jours pour répondre aux demandes au lieu d’un seul mois. Quoi qu’il en soit, cela ne change pas grand-chose. Sans oublier qu’elles ont fermé leurs bureaux tout au long de la pandémie, du 15 mars 2020 jusqu’au 1er juin dernier. Souvent les réclamants n’ont pas d’autre solution que de se présenter au tribunal étant donné que l’appareil administratif n’a pas fonctionné comme il le devrait. La plupart des dossiers datent des années 1990-2000, et deux lois sont censées les appuyer, la loi 18/1991 pour la reconstitution des droits de propriété sur les terrains, et la loi 10/2001 pour la restitution ou la compensation des propriétés nationalisées de façon abusive.
La Roumanie reste d’ailleurs l’un des principaux pays de l’UE pointés du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme notamment à cause de cette lenteur administrative…
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDO, ndlr) reproche d’une part la lenteur de l’autorité administrative, et de l’autre le non fondement des arguments invoqués pour rejeter les demandes de rétrocession. Par exemple, la loi roumaine exige que les réclamants prouvent par des documents le fait d’avoir été victimes, eux ou leur famille, d’une nationalisation abusive. Or, comment le démontrer quand on connaît la façon dont les communistes s’emparaient des bâtiments, c’est-à-dire en jetant les propriétaires à la rue au beau milieu de la nuit ? Dernièrement, suite à une mesure pilote, la CEDO a pris la décision de ne plus s’occuper des affaires de rétrocession, obligeant les Roumains à chercher justice dans leur pays. Je pense que l’État roumain sait comment s’y prendre, il l’a déjà montré à plusieurs reprises de façon satisfaisante. Sauf que son action est loin d’être continue et générale, elle dépend trop souvent de pressions exercées par les réclamants.
Quelles solutions immédiates proposez-vous afin que le citoyen roumain soit mieux protégé des abus de l’État ?
Tant que le citoyen ne sera pas respecté, que les instances lui feront perdre des heures dans une salle où il se retrouve avec des dizaines d’autres personnes, avocats et réclamants qui ensemble attendent leur tour, dès 8h30 du matin, il restera une victime. Ce n’est qu’après avoir résolu ce genre de problèmes que l’on pourra envisager de modifier les lois et de les simplifier et, surtout, de prévoir des sanctions qui soient mises en place dès que la situation l’impose. Sinon, on continuera d’avoir des citoyens qui attendent depuis plus de trente ans une réponse de la part d’une autorité administrative.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.