Depuis le 1er juin, la Roumanie rembourse une partie des services médicaux nécessaires aux enfants autistes. Cette première n’est cependant qu’une petite goutte d’espoir, le sort des malades reposant surtout sur les familles et quelques associations.
« Etre autiste, c’est comme avoir les yeux noirs. Même avec des verres de contact, la couleur des yeux ne va pas changer, affirme la psychologue Luciana Hăloiu Richardson, du Centre privé Invingem Autismul (Vaincre l’Autisme) de Bucarest, avant d’ajouter que « l’autisme, dont les causes restent méconnues, est un trouble comportemental sévère qui ne se guérit pas, soyons clairs, mais qu’on peut gérer de façon à permettre à l’individu concerné de s’intégrer dans la société ».
Définis généralement par l’acronyme TSA, les troubles du spectre autistique se caractérisent par trois éléments cumulatifs : un trouble de communication, des difficultés d’interaction sociale, et des perturbations du comportement. « Concrètement, les enfants atteints d’autisme ne cherchent pas le contact visuel, ils restent isolés dans leur monde et refusent la communication, et s’adonnent souvent à des mouvements répétitifs dépourvus de toute logique », poursuit Luciana Hăloiu Richardson qui suit une formation auprès d’un expert britannique pour devenir thérapeute agréée en analyse comportementale ABA.
Née dans les années 1960, cette méthode est considérée de nos jours comme celle qui assure la meilleure prise en charge des enfants autistes, permettant de remplacer un comportement jugé indésirable par un autre, socialement accepté. Le problème principal est que pour porter ses fruits, cette thérapie doit être soutenue. « La technique ABA doit être suivie tout au long de la journée, du réveil au coucher », explique Nicoleta Lupoae, présidente fondatrice de l’Association de soutien aux parents et aux enfants autistes (APCA) de Galaţi, et mère de Cosmin, un petit garçon de sept ans atteint de TSA. Et d’ajouter : « Même en ayant décelé des symptômes spécifiques dès l’âge d’un an et demi, ce ne fut que vers trois ans que mon fils fut enfin diagnostiqué. Pour moi, ce verdict a été une bouffée d’oxygène ; après tant de tergiversations, je savais enfin ce qu’il me restait à faire. Avec ces enfants, le grand danger est de se donner de faux espoirs au lieu de commencer la thérapie le plus vite possible. »
Suite aux nouvelles normes législatives en vigueur depuis le 1er juin, les médecins de famille doivent désormais tester les enfants tous les deux mois afin de repérer les moindres signes d’autisme. « Jusqu’à présent, c’étaient aux parents de se poser des questions ; dorénavant, ce sera au médecin de s’interroger et de décider si une visite chez le neuropsychiatre s’impose », poursuit Nicoleta Lupoae. Et si le diagnostic d’autisme est confirmé, la famille commencera un véritable parcours du combattant…
« Aucun plan d’intervention ou de service n’est pour l’instant mis en place pour les adultes souffrant de troubles autistiques. L’Etat leur tourne totalement le dos »
D’abord, parce que la Roumanie ne reconnaît pas officiellement la profession de thérapeute ABA, mais seulement celle de psychologue, souligne Luciana Hăloiu Richardson du Centre Invingem Autismul… « Du coup, si je veux me faire rembourser mes services, je dois changer de profession. » De plus, même chez un psychologue, la prise en charge des thérapies ne va pas de soi. « Seuls les psychologues ayant leur propre cabinet et un contrat avec des médecins psychiatres peuvent se faire rembourser les consultations par la Caisse nationale d’assurance maladie. Et les psychiatres ne doivent pas travailler dans un établissement de santé public. Je me demande vraiment à combien se montera le nombre de spécialistes éligibles… », lance Carmen Gherca, fondatrice de la filiale de Iaşi de l’Association nationale des enfants et des adultes autistes de Roumanie, et mère de Robert, un jeune homme autiste âgé de 18 ans.
« Quand il était petit, on ne savait pas grand-chose sur l’autisme. Un spécialiste nous avait même conseillé de l’abandonner dans une institution et de faire un autre enfant », se souvient Carmen Gherca, les larmes aux yeux. Le vide législatif qui a prévalu pendant des années a amplifié le drame de tous ces adultes autistes, reconnus comme tels seulement depuis l’année dernière. Avant 2013, le diagnostic de troubles du spectre autistique ne concernait que les enfants, selon le Collège des médecins de Roumanie. Du coup, une fois atteint l’âge de la majorité, la personne souffrant de TSA se voyait délivrer un certificat de schizophrénie, seule façon pour elle de continuer à bénéficier d’une indemnité maladie.
Bien que la loi ait changé, la situation demeure confuse pour des adultes comme Robert Gherca. « Aucun plan d’intervention ou de service n’est pour l’instant mis en place pour les adultes souffrant de troubles autistiques. L’Etat leur tourne totalement le dos », se révolte sa mère. Pour être efficace, la thérapie ABA doit être suivie 40 heures par semaine, des conditions qui entraînent un coût important. « Cela nous fait débourser quelque 450 euros par mois », affirme Nicoleta Lupoae, qui depuis quatre ans déjà a renoncé à son emploi pour se consacrer totalement à son fils et à l’association qu’elle dirige.
Parallèlement aux efforts des familles et d’ONG, la fondation Romanian Angel Appeal, en partenariat avec la Direction générale pour la protection de l’enfance du ministère du Travail, de la Famille et de la Protection sociale, et avec le concours de l’Association pour les psychothérapies cognitives et comportementales de Roumanie, a déroulé entre 2010 et 2013 le projet « Şi ei au o şansă » (Une chance pour eux aussi) à l’intention des personnes autistes de Roumanie dont le nombre augmente (voir encadré). Co-financé par le Fonds social européen à travers le programme POSDRU, le projet a mené à l’ouverture, sur l’ensemble du pays, de quarante centres de conseil et assistance gratuite à l’intention des enfants autistes.
« Les enfants y bénéficient aussi bien de thérapie individuelle que de groupe, de séances de logopédie, de thérapie assistée par l’animal, de classes de tennis, de kinésithérapie et d’art-thérapie »,explique Martha Szolga du Centre pour les enfants à TSA du secteur 6 de la capitale. Mais avec seulement quatre spécialistes et une capacité limitée à une vingtaine de places, ce centre ne peut offrir que trois à quatre heures de thérapie par jour pour chaque enfant, deux fois par semaine. Cela ne suffit pas, considère Martha Szolga, qui avoue devoir parfois placer en liste d’attente cinq nouveaux cas par jour.
Selon Nicoleta Lupoae de l’APCA, un premier pas serait que les parents acceptent le diagnostic et fassent plus rapidement une demande de reconnaissance du handicap : « Or, souvent, ils refusent de faire les démarches par honte, et privent l’enfant de ses droits. » A leur tour, les enseignants réclament un diagnostic clair au moment où la famille tente de placer un enfant autiste dans un milieu scolaire ordinaire. « Aucune loi n’interdit la scolarisation d’un enfant à TSA, mais pour que cela soit possible, il faut que les parents acceptent le diagnostic et m’en parlent en toute sincérité », insiste Tania Mărgineanu, pédagogue qui a beaucoup contribué à la récupération de Cosmin, le fils de Nicoleta Lupoae. Au bout de trois ans et demi de thérapie soutenue, aussi bien à la maison qu’en salle de classe, le petit garçon mène désormais une vie presque normale, et ses chances de parvenir à l’autonomie sont bien réelles.
Des chiffres inquiétants
Selon les données 2012 rendues publiques par le ministère de la Santé, l’autisme toucherait quelque 7 179 personnes en Roumanie. Pourtant, selon les spécialistes, le nombre de Roumains souffrant de troubles du spectre autistique pourrait s’élever à 15 000. En France, entre 450 000 et 600 000 personnes sont concernées. Et un enfant américain sur 68 serait touché par l’autisme, selon une étude récente publiée par le Centre pour le contrôle des maladies d’Atlanta, Etats-Unis.
Ioana Stăncescu (juillet 2014).