Grenier de l’Europe pour le blé pendant la période de l’Entre-deux-guerres, la Roumanie développe désormais d’autres cultures, comme celle du colza, plus profitable mais non sans risques. Témoignages d’agriculteurs…
Ces dernières années, les récoltes exceptionnelles de blé ont contribué de façon conséquente à la croissance économique du pays. Pourtant, du côté des agriculteurs, tout n’a pas été rose. La surproduction a souvent généré une baisse des prix qui a fait mal au portefeuille des cultivateurs. Ces derniers se sont alors tournés vers d’autres productions, notamment celle du colza. La superficie cultivée avec cette plante est aujourd’hui quatre fois plus importante qu’il y a deux ans : près de 400 000 hectares – sur un total de 8 millions d’hectares de terres agricoles au niveau national.*
Plus de 80% de la récolte du colza part vers l’export, plante principalement utilisée soit pour la production de biocombustible, soit pour l’huile alimentaire. Les agriculteurs roumains se frottent les mains : des tonnes de colza se vendent plus de deux fois plus cher que le blé ou le maïs, c’est-à-dire environ 500 euros par tonne. Ceci étant, « si les prix à la tonne sont plus de deux fois supérieurs à ceux du blé, les rendements par hectare sont deux fois moindres ; les revenus par hectare sont donc presque identiques. Certains agriculteurs cherchent alors des variétés à meilleure teneur oléique, qui sont mieux payés, car ils ont un peu plus d’huile », explique Sébastien Record de Geosys. Par ailleurs, cette culture du colza n’est pas non plus la panacée, et comporte certains inconvénients…
Constantin Mocanu est propriétaire d’une ferme dans le département de Brăila, à l’est du pays, et affirme que pas mal de choses peuvent tourner au vinaigre avec le colza. Sur son terrain agricole – plus de 1 000 hectares – des graines de colza ont été semées sur plusieurs dizaines d’hectares, et ce de façon constante depuis plusieurs années. « Le colza m’a bien rapporté, et ces derniers mois ont été parfaits, avec beaucoup d’humidité à l’automne et au printemps, et de la chaleur en été. Toutefois, je n’aime pas trop cette culture, elle engendre souvent des problèmes, soutient Constantin Mocanu. On doit semer à la fin du mois d’août, début du mois de septembre, et sans système d’irrigation performant, la récolte est automatiquement perdue. Par ailleurs, le colza est très sensible au gel, tout comme aux maladies. Il m’est arrivé de terminer une belle année et de tout perdre en deux jours, c’est très frustrant. »
George Cărteraru, gérant de fermes dans la commune de Dorobanţu (département de Călăraşi, sud du pays), a lui aussi connu des expériences diverses avec le colza depuis 2007… « C’est une culture profitable, mais qui ne mérite d’être semée que sur une surface raisonnable, il ne faut surtout pas tout miser sur le colza (…). C’est un plante fragile qui peut mourir en un ou deux jours. » D’une part, les aléas du temps peuvent tout ruiner, même une grêle faible. D’autre part, explique l’agriculteur de Dorobanţu, « le colza ne mûrit pas de façon uniforme, et si on attend trop, il pourrit vite ». George Cărteraru a décidé cette année de ne dédier que 70 hectares au colza : « Je le vends à un producteur local de céréales, filiale d’une grande multinationale, qui le revend ensuite à l’usine de biodiesel de Lehliu. »
« Le colza, c’est bien d’en avoir un peu, l’année dernière a été très profitable ; d’autres années par contre, je n’ai rien pu en tirer, des tournesols ont poussé à la place »
Même son de cloche du côté d’Arnaud Perrein, agriculteur français président de l’association des producteurs de maïs du sud de la Roumanie, qui préfère lui aussi être prudent vis-à-vis du colza, même si sur les deux dernières années, il est passé de 50 à 250 hectares de culture – le blé et le maïs restant ses deux principales sources de revenu. « Le colza, c’est bien d’en avoir un peu, l’année dernière a été très profitable ; d’autres années par contre, je n’ai rien pu en tirer, des tournesols ont poussé à la place, ils sont de la même famille. Cette année, je ne dédierai qu’environ 30% en plus de ma surface agricole au colza. »
De son côté, l’ancien ministre de l’Agriculture Adrian Rădulescu, malgré la prudence qui est de mise, prédit un bel avenir au colza…« A partir du moment où il s’agit d’agriculteurs expérimentés, il n’y a aucun problème. Depuis le milieu des années 1990, avec l’aide d’Italiens qui ont amené les semences, nous nous sommes familiarisés avec cette culture. C’est une plante précoce et bon marché, la première qui se récolte après l’orge. Elle a remplacé pas mal d’hectares de blé et de soja, et n’a besoin que de deux, maximum trois traitements par an contre les maladies et les intempéries. Surtout, elle se vend très bien. Evidemment, pour ceux qui débutent, il faut faire très attention. C’est une plante qui a notamment besoin de beaucoup de chaleur. Je pense qu’on arrivera à 600 000 hectares de culture de colza dans un ou deux ans, mais tout dépend aussi de ce qui se passera avec le soja. »
* Pour rappel, la Roumanie est le pays de l’UE comptant le plus grande nombre d’exploitations, près de quatre millions, soit 32% du total réparti dans les 28 Etats membres. Mais leur surface moyenne ne dépasse pas trois hectares ; l’agriculture de subsistance concerne 50% de la surface agricole utile. A noter par ailleurs que l’assolement de la Roumanie – division des terres –, c’est 1/3 de maïs, 1/3 de blé, et 1/3 divers : tournesol, colza, soja, orge… donc de la variété sur moins de 35% de la surface agricole. Pour ce qui est du colza, sa production se retrouve plutôt dans les moyennes et grandes fermes.
Surface cultivée avec du colza :
2012 : 105 000 hectares
2013 : 296 000 hectares
2014 : 391 000 hectares
Source : ministère de l’Agriculture.
Prix de vente par tonne :
Colza : environ 500 euros
Blé : environ 230-250 euros
Maïs : environ 150-180 euros
Source: agroinfo.ro, bursacereale.com
Carmen Constantin (juillet 2014).