À vingt minutes au sud de Braşov, dans une forêt appartenant à la ville de Zărneşti, se trouve Libearty, la plus grande réserve d’ours bruns d’Europe. Après avoir vécu la majeure partie de leur vie en captivité, 77 ours y ont recouvré la liberté.
Il aura fallu la mort d’une ourse, Maya, pour que cette réserve voit le jour. En 1998, Cristina Lapis, fondatrice de l’association de Braşov « Milioane de prieteni », s’intéresse à son sort. L’animal était enfermé dans une cage à côté du château de Bran dans le but d’attirer les touristes. Sans eau ni nourriture appropriée, Maya était dans un état déplorable. Cristina Lapis entreprend alors de la sauver. Mais l’ourse perd goût à la vie et commence à s’auto-mutiler, comportement très rare chez l’ours. La seule solution est alors de l’euthanasier. « Je lui avais promis qu’elle pourrait recouvrer sa liberté, raconte Cristina Lapis, mais il était trop tard, elle est morte dans mes bras. » Tenue par cette promesse, elle décide de créer un havre pour les ours, la réserve Libearty, terminée en 2005. Elle sera soutenue financièrement par la Société mondiale pour la protection des animaux (WASP) qui soutient désormais la réserve à 90%.
Les histoires de ces 77 ours maintenant en semi-liberté dans cette forêt de 70 hectares se ressemblent énormément. La Roumanie, qui possède la plus grande population d’ours d’Europe – elle est estimée à environ 6000 spécimens –, est un pays propice pour la chasse. En théorie, il est interdit de tuer les ours femelles car ce sont elles qui prennent soin des oursons, mais dans la pratique, les erreurs sont courantes. Comme l’explique Liviu Cioineag, le gérant de Libearty : « Certains chasseurs tuent les femelles par accident et ne savent pas quoi faire des oursons, alors il les gardent ou les vendent à des propriétaires de restaurants ou d’hôtels dans le but d’attirer les touristes. On a même sauvé des ours qui étaient enfermés dans des monastères, des usines de fabrication de pain ou des stations services. C’est un phénomène très courant. » S’ajoute à cela un braconnage malheureusement très répandu.
La Roumanie a ratifié la convention de Bernes en 1993 qui fait de l’ours une espèce protégée et interdit depuis 2005 leur détention en captivité. « Comme il n’existait aucun endroit pour mettre les ours confisqués par les autorités, la loi ne pouvait pas être appliquée, ajoute M. Cioineag. Et un ours qui a été nourri par l’homme depuis son plus jeune âge ne peut pas retourner vivre dans la nature, il est dépendant des humains, d’où la création de notre réserve. »
« On a sauvé des ours qui étaient enfermés dans des monastères, des usines de fabrication de pain ou des stations services. C’est un phénomène très courant »
Cristi et Lidia sont les premiers à avoir quitté leurs cages pour rejoindre Zărnești. A l’époque, ce couple d’ursidés était de véritables mascottes emblématiques de la station de ski de Poiana Braşov. Mais tant d’années de captivité laissent des traces chez ces animaux. Certains comme Lidia ont parfois des comportements compulsifs. Même si elle a désormais toute la place dont elle a besoin, Lidia continue de tourner en rond sur un espace égal à son ancienne cage, comme si elle existait toujours dans son esprit. Quant à Mura, qui « travaillait » au cirque de Bucarest, à son arrivée, elle dansait encore quand on lui donnait à manger. « Seuls la nature et le temps peuvent panser ces séquelles », soupire M. Cioineag. Peu à peu quelques-uns reprennent leur rythme naturel et recommencent à hiberner.
Aujourd’hui, l’association de Cristina Lapis estime avoir atteint son but : presque tous les ours de Roumanie qui vivaient en captivité ont été relâchés dans la réserve. Et se tourne maintenant vers l’éducation. « Les enfants seront les prochains propriétaires de restaurants ou de zoos, explique Liviu Cioineag, et nous ne voulons pas que l’histoire se répète, que les ours soient de nouveau enfermés. Il faut que les mentalités changent, et cela passe d’abord par l’éducation. »
Julia Beurq (décembre 2013).