L’Institut national de gérontologie et de gériatrie Ana Aslan de Bucarest se penche sur la question de la vieillesse depuis sa création, en 1952. Légende de la médecine gériatrique à l’image de sa fondatrice, cet institut toujours très fréquenté fut aussi prisé par d’illustres étrangers à une certaine époque.
Le nom d’Ana Aslan rime surtout avec Gérovital, premier médicament au monde synonyme de retardement du processus de vieillissement. Symbole d’une époque où l’homme avait des velléités d’immortalité, ce médicament fut élaboré entre 1946 et 1956. Entre-temps, en 1952, l’Institut Ana Aslan de Bucarest voit le jour dans un beau bâtiment datant de 1906, situé dans la petite rue Căldărușani, derrière le cimetière juif du boulevard Ion Mihalache. La clinique principale est juste à côté, une autre se trouve à Otopeni.
Ana Aslan (1897-1988) fut la première scientifique roumaine à explorer les possibilités qu’offre la procaïne – un anesthésique local – dans la lutte contre le vieillissement. La combinaison de procaïne à des hormones et des vitamines donnera naissance à son « bébé », le Gérovital. Ana Aslan considère à l’époque que ce médicament a des propriétés régénératrices, et qu’il constitue une bonne substance énergisante ainsi qu’anti-dépressive. Des études évoquent même sa capacité à lutter efficacement contre des maladies, telles que la Parkinson. Mais d’autres rapports, notamment anglais et américains, remettront en cause ces résultats. Initialement considéré comme un produit révolutionnaire, le médicament sera contesté dans certains pays à partir des années 1970-80. Voire interdit, notamment aux Etats-Unis, à partir de 1982, où beaucoup de médecins le considèrent comme une drogue. Reste que le Gérovital continue de séduire, en Roumanie surtout, mais pas seulement. Il est ainsi réapparu aux Etats-Unis quelques années plus tard où certaines cliniques gériatriques le prescrivent de nouveau, malgré l’interdiction. Elles l’importent directement de Roumanie, seul lieu de production.
Quelle histoire…
A la grande époque, Ana Aslan voit défiler dans sa clinique les grands de ce monde, avides de cure de jouvence. Des chefs d’Etat tels Charles de Gaulle, Nikita Khrouchtchev, John Fitzgerald Kennedy en passant par Marlène Dietrich, Charlie Chaplin, Kirk Douglas ou Salvador Dalí ; la méthode Aslan fait des adeptes pour ses supposés effets contre le vieillissement de la peau et les rhumatismes. Bucarest devient ainsi une destination phare pour le tourisme du rajeunissement que l’Etat communiste ne manque pas de valoriser. L’Institut et son « produit miracle » sont une bonne vitrine pour la Roumanie de l’époque qui les met en avant sur ses dépliants touristiques.
A ses débuts, le bâtiment de la rue Căldărușani, vieux de plus de 100 ans, était déjà une maison de repos pour personnes âgées. On peut y voir à son fronton les emblèmes de la Valachie et de la Moldavie avec le fameux bison. Les portes en bois, le mobilier ancien tout comme les mosaïques au sol achèvent de donner à l’ensemble un parfum d’antan. Au détour de couloirs flambants neufs, quelques personnes âgées marchent lentement. Le bâtiment a été rénové, tout comme la clinique d’Otopeni, refaite l’an passé. C’est d’ailleurs dans cette clinique d’Otopeni qu’a été tourné le dernier film dans lequel a joué Guillaume Depardieu en 2008, « L’enfance d’Icare », thriller évanescent abordant notamment la quête d’immortalité.
Si l’Institut n’attire plus vraiment de personnalités, il fait toujours recette, assure Gabriel Ioan Prada, directeur de l’établissement, en montrant son carnet de rendez-vous. Le docteur Prada est par ailleurs président de la Société roumaine de gériatrie et de gérontologie. Il a connu Ana Aslan en 1986 lorsqu’il est entré à l’Institut, avant de partir faire un master en sciences de la gériatrie à Manchester, au début des années 1990. « Je suis plein jusqu’en mars de l’année prochaine. En moyenne, il faut attendre six mois pour une place chez nous. Tous nos soins sont remboursés par la Caisse nationale de santé roumaine, la demande est donc énorme. » Aujourd’hui encore, l’Institut Ana Aslan est le seul habilité à utiliser le Gérovital. Tous les patients en prennent, c’est la base de leur traitement.
Une approche novatrice
Au-delà de ce que représente ce médicament, c’est la méthode Ana Aslan et son application en Roumanie qui a fait la renommée de l’Institut, reprend Gabriel Ioan Prada. « Il faut rappeler qu’en 1964, l’Organisation mondiale de la santé a proposé l’Institut Ana Aslan comme modèle de gériatrie pour les pays développés. Nos méthodes ont été reprises notamment aux Etats-Unis et en Russie, où des instituts dans la même lignée du nôtre ont été créés. Certes, on a véhiculé toutes sortes de choses, comme quoi le Gérovital donnait la vie éternelle… Mais il n’y a évidemment pas de produit miracle. Je dirais plutôt que la vérité se trouve dans cette phrase célèbre énoncée à propos d’Ana Aslan : « Elle a rajouté de la vie aux années ». »
Avec l’apparition de l’Institut, la perception des personnes âgées change dès 1952. Celui-ci dispose dès le début d’une assistance médicale complète avec possibilité d’internement jusqu’à 14 jours – durée de la méthode brevetée Ana Aslan –, avec un service de consultations, de gérontologie (étude de la vieillesse dans son ensemble, la gériatrie se concentrant plutôt sur les maladies du vieillissement), ainsi que d’un vaste service de recherche sur les personnes âgées. La prise en charge est restée de type personnalisée et transversale. Près de 600 personnes et toutes sortes de spécialistes travaillent actuellement à l’Institut. 40.000 consultations annuelles sont enregistrées.
Le suivi psychologique y est notamment très présent. « Vous avez remarqué qu’une personne âgée va préférer dire qu’elle a mal à la tête au lieu de reconnaître qu’elle est déprimée, poursuit le docteur Prada. Le Gérovital est un bon stimulus car il donne de l’énergie. L’important est d’encourager les personnes âgées et de leur permettre de fonctionner de manière indépendante afin de gagner en longévité active. La société a tendance à éloigner ses personnes âgées. Tout part de la discrimination, il ne faut pas les ghettoïser. Elles ont surtout besoin d’être actives et stimulées. »
A l’Institut, on considère que la société a une idée limitée de l’âge. Selon Gabriel Ioan Prada, cette notion d’âge est « à la fois chronologique, psychologique, d’ordre social et enfin biologique, impliquant les réserves fonctionnelles de tout un chacun. L’âge, c’est tout cela à la fois, conclut-il. La retraite sera bientôt fixée à 65 ans, mais ce n’est qu’une limite que la société nous impose. Regardez Neagu Djuvara (grand historien roumain, ndlr), dit-on de lui qu’il est retraité, du haut de ses 97 ans ? Etre actif au sens où on l’entend généralement est trop réducteur ».
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Sur Ana
Originaire de Brăila où elle est née en 1897, Ana Aslan est issue d’une famille d’origine arménienne. Diplômée de la faculté de médecine de Bucarest avant de devenir académicienne, elle crée et dirige l’établissement qui porte son nom jusqu’en 1988, année de sa mort à 91 ans à Bucarest. Attelée au bureau du docteur Prada, une salle spéciale rassemble ce qu’il est resté de l’époque Ana Aslan. Des portraits de cette dernière, photographiée en compagnie de ses célèbres patients, et des dédicaces sont disposés dans toute la pièce à la manière d’un modeste musée. On y aperçoit aussi un tableau du célèbre peintre Iosif Iser la représentant. Un mémorial est par ailleurs en projet à l’Institut. Pour ou contre le Gérovital, Ana Aslan aura de toute façon modernisé une science et aidé à une meilleure prise en charge des personnes âgées.
Benjamin Ribout (octobre 2013).