Andrei Cohn (40 ans) est l’un des plus expérimentés publicistes du pays. Reconnu pour sa créativité fine et élégante, il a notamment travaillé pour Fiat, Cosmote, avant de monter sa propre agence, Cohn & Jansen JWT (en partenariat avec Cristina Jansen, Peter Jansen, Petra Hoyos et Adrian Drǎghici). Andrei Cohn est également réalisateur de longs métrages, son dernier film, Acasǎ la tata, doit sortir cet automne.
Regard : Que pensez-vous du marché publicitaire local ?
Andrei Cohn : Ma zone d’expertise est celle de la création. Mais j’ai des collègues qui s’occupent de comptabilité, de management, de stratégie au sein de ce marché, et ils me disent que… c’est terrible. De mon point de vue, peu de choses ont changé ces dernières années. Il y a des bons et de moins bons projets, des gens civilisés, d’autres qui continuent à ne pas l’être, certains sont mieux préparés, d’autres toujours pas, c’est un peu comme quand j’ai débuté dans le métier, au milieu des années 1990.
Pourquoi vos collègues disent que la situation est terrible ?
Principalement parce qu’il y a moins d’argent, mais ce n’est pas une excuse. Le cinéma roumain n’a pas tous les moyens du monde, pourtant, quel succès. D’une certaine façon, en termes de créativité, la crise devrait avoir du bon, ce n’est pas le cas concernant le marché publicitaire roumain. Prenez le cas de l’Argentine, où j’ai eu la chance de me rendre. Avant les années 2000, personne ne perdait son temps avec les idées, les publicistes gagnaient beaucoup d’argent. Une agence quelconque, sur une année, pouvait produire jusqu’à 300 publicités, seulement pour de la lessive. Quand la crise est arrivée, le marché s’est écroulé, pourtant c’est à ce moment-là que l’Argentine a commencé à remporter des prix dans les plus grands festivals dédiés aux spots publicitaires. C’est la raison pour laquelle je maintiens que le manque d’argent n’est pas une excuse qui puisse expliquer la qualité médiocre de notre marché local. A quelques rares exceptions près, on n’est pas dans une bonne période, c’est ennuyeux, parfois même tendu.
Il semblerait qu’on fasse toujours appel aux mêmes images, notamment celles d’enfants, comme dans les années 1990…
Je pense que nous ne les avons jamais remplacées. Des seins surdimensionnés et des enfants, on en a eu dès le début et on peine toujours pour les remplacer avec des idées innovantes. Il y a encore cette abondance d’enfants mignons. A l’époque, quand je travaillais pour Connex (futur Vodafone, ndlr), 90% des campagnes que nous produisions étaient avec des enfants. Les enfants, ici comme ailleurs, ont toujours été le moyen le plus facile pour toucher les gens. A côté du « Deux pour le prix d’un ».
« Actuellement, quiconque travaillant dans la publicité se sent protégé s’il fait des choses de mauvaise qualité, qui soi-disant marchent »
Quel effet a eu la présence de grandes agences internationales ?
Cela a apporté un peu plus de rigueur. Il a fallu aussi commencer à mesurer l’impact de la publicité, afin d’assurer un meilleur retour sur l’investissement. Auparavant, les entrepreneurs locaux manquaient de professionnalisme, ils se lançaient dans des projets de façon beaucoup trop subjective, et le résultat pouvait être désastreux.
Quand vous regardez les publicités diffusées en ce moment à la télévision, ou les affiches dans la rue, quel est votre sentiment ?
Qu’on ne peut décidément pas parler d’évolution, mais plutôt d’involution, générée par cette résistance à faire de nouvelles choses. Je pense qu’actuellement quiconque travaillant dans la publicité se sent protégé s’il fait des choses de mauvaise qualité, qui soi-disant marchent. Résultat : la quantité de cochonneries a augmenté. Et puis l’instinct de préservation fonctionne aussi bien dans la publicité que dans d’autres domaines ; donnez à l’être humain une chance de faire moins et il fera moins.
Vous vous êtes plaint concernant les filtres parfois abusifs des organismes de contrôle, en particulier du CNA (Conseil national de l’audiovisuel, ndlr), qui freineraient la créativité…
Les choses doivent être évidemment règlementées, je suis d’accord que les publicités ne doivent pas infester nos maisons avec n’importe quoi. L’usage libre de la langue roumaine, par exemple, dans un but humoristique, est parfaitement valable. Ceci étant, il ne faut pas aller trop loin et faire des fautes, comme cela s’est vu récemment, seulement pour vendre des paquets de biscuits. Il doit y avoir un certain niveau d’autocensure des publicistes eux-mêmes. La limite tient de chacun, de sa probité professionnelle, afin de ne pas avoir un effet néfaste sur des choses qui sont plus importantes que les buts à atteindre. C’est un débat complexe, mais je ne sais pas si le CNA peut réglementer la quantité de poubelles vidées dans les maisons. Par ailleurs, j’estime que beaucoup de shows télévisés en Roumanie sont pire que les plus mauvaises publicités. Et ils durent beaucoup plus longtemps.
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Les plus grands noms présents depuis des années
Le groupe français Publicis (3ème réseau mondial dans le domaine du marketing et de la communication) est présent en Roumanie à travers deux marques : Saatchi&Saatchi (depuis 1990), et Leo Burnett (depuis 1994). Autre grand groupe international (deuxième plus grande agence mondiale de publicité), BBDO, basé à New York, est en Roumanie depuis 1992, lorsqu’il a repris la société autochtone Graffiti. Sans oublier McCann Erickson, Ogilvy&Mather, mais aussi Cohn&Jansen (voir entretien), créé en 2002 et qui a fusionné avec Scala JWT en octobre 2010, devenant Cohn&Jansen JWT. La société détient, depuis l’automne passé, la licence Young&Rubicam pour la Roumanie.
Propos recueillis par Carmen Constantin (juillet 2013).