Entretien réalisé le vendredi 25 mars dans l’après-midi, en français et par téléphone (depuis Toulouse).
Laurent Carozza, archéologue et chercheur français au CNRS, au laboratoire GEODE, décrit la mission « Archéologie du delta du Danube » qu’il dirige, un projet mené conjointement par des chercheurs roumains et français sur le site de Taraschina, situé à 4,5 km au sud-ouest du village de Mila 23, en Dobroudja…
Comment ce projet a-t-il débuté et quelles en sont les particularités ?
Dans un premier temps, nous avons réalisé une enquête auprès des habitants du village Mila 23 qui avaient trouvé de petits objets à Taraschina, une localité qu’ils aiment occuper pendant l’été ; c’est de cette façon que nous avons pris connaissance du site. Le contexte du delta fait qu’on ne peut pas mettre en place des méthodes classiques d’archéologie, on est notamment obligés de s’adapter au fait que le niveau de l’eau soit très élevé. Lors des premières campagnes, nous avons procédé à des carottages – forages d’exploration, ndlr – et à un quadrillage ; on a travaillé un peu à l’aveugle pour voir ce qui était dessous. Cela nous a permis de sélectionner deux petites zones de fouille. On ne peut fouiller qu’un tiers de l’épaisseur, soit jusqu’à environ 1 mètre 20, 1 mètre 50 de profondeur, car les deux tiers sont sous l’eau, on ne pourra jamais y accéder, ni les voir.
Et qu’avez-vous découvert jusqu’ici ?
Ce site est un tell, c’est-à-dire une succession d’habitats, de constructions empilées les unes sur les autres, démolies et reconstruites, et dont certaines ont été brûlées. On essaie de voir sur la partie supérieure comment les choses étaient organisées. Les aménagements anthropiques et les matériaux qui ont été amenés pour construire ces habitats nous ont donné une image du paysage et de l’environnement qui était très différent de l’actuel ; c’était un petit village avec quelques maisons, et surtout avec des aménagements agricoles liés au traitement des récoltes. Les habitants pratiquaient l’agriculture, il y a des champs à côté, et des aires de battage pour travailler les céréales. À mon avis, c’est la découverte la plus importante, à savoir qu’une population néolithique* habitait dans un environnement qui n’était pas un delta.
C’est la formation du delta qui, sans doute, a fait partir il y a 6000 ans les habitants du village. L’élévation du niveau marin a modifié tout le système hydro-géo-morphologique, des lacs se sont formés, la ligne du littoral a changé et, du coup, il y a eu des contraintes liées aux inondations. Les habitants du lieu étaient dans un environnement qui évoluait et changeait très vite. Ils ont essayé de s’adapter pendant un moment, jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. Ce que l’on observe, c’est que sur une période de 500 ans, il y a eu une élévation de la nappe d’eau d’environ 1 mètre 50, des terres qui étaient cultivables sont devenues des lacs. Leur système économique ne pouvait plus se développer dans un environnement aussi instable. Ce qui est intéressant, c’est le jeu des humains avec l’environnement, ils s’installent dans des milieux qui paraissent stables, mais qui après ne le sont plus. À l’âge du bronze – période qui suit le néolithique et s’étend sur près de deux mille ans, de 2300 à 800 av. J.-C., ndlr –, on aura une reconquête de ce milieu naturel.
* Le début de la période néolithique est difficile à déterminer, mais il y a consensus pour dire qu’elle a débuté au Proche-Orient environ 8000 ans av. J.-C. Une époque clé pour l’humanité, avec notamment l’apparition de nouvelles techniques pour cultiver les céréales. (Ndlr)
Qu’aimeriez-vous encore découvrir ?
Ce que j’aimerais trouver, ce sont d’autres sites, d’autres vestiges actuellement submergés. Il y a un potentiel énorme de tout un paysage néolithique qui actuellement n’est plus visible parce qu’il est submergé par le delta. Il serait extraordinaire d’aller voir dessous ce qu’il y a. Le problème est toujours la question de l’eau qui masque certaines choses. D’un autre côté, nous avons avec Taraschina un site archéologique majeur qui n’a jamais été fouillé.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
Pour plus d’informations sur cette mission archéologique, visitez le site https://archeologie-danube.hypotheses.org/le-site-de-taraschina