Entretien réalisé le vendredi 19 mai en fin de journée, au studio RFI Roumanie de Bucarest.
Un autre rapport à la technique et aux nouvelles technologies est-il possible ? Éléments de réponse avec Julien Deltor, ingénieur français passionné par la « Low Tech »…
Qu’est-ce que la « Low Tech » ?
C’est avant tout trois piliers : une technologie utile, une technologie durable, c’est-à-dire qui a vocation à durer dans le temps, et une technologie accessible qui puisse être utilisée par tous, et peu coûteuse. Derrière ces trois thèmes, il y a une vraie réflexion concernant l’utilité ; il s’agit de raisonner en termes de besoin plutôt que de se précipiter sur une solution. Est-ce qu’une chose est véritablement utile, indispensable, nécessaire, ou est-elle superflue ? C’est d’abord ça la « Low Tech » : s’interroger sur l’utilité avant de réfléchir plus tard à une solution. Prenons l’exemple de la climatisation, qui est aujourd’hui une solution clé en main aux fluctuations thermiques, mais qui a un coût énergétique important. Or, il est possible de mieux penser en amont l’architecture d’un bâtiment afin qu’il soit énergétiquement viable, et ce sans passer par la climatisation. La « Low Tech » prône ce genre d’approche. Quelle est la fonction racine ? Quel est le besoin ? À partir de là, on peut réfléchir à comment se protéger de la chaleur ou bien la capter, la stocker et la distribuer, avant de mettre en place une solution qui demandera de brancher une prise. Exemples : une serre qui retient les rayons du soleil l’hiver, un arbre offrant de l’ombre l’été, ou une pergola végétale, pour citer un exemple très roumain qui, en plus d’offrir de l’ombre, donne de belles odeurs, de belles couleurs, attire les oiseaux et peut même être nourricière.
Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de la transition énergétique ?
Je pense qu’il est nécessaire de réfléchir d’abord en termes de besoin, une nouvelle fois. D’autant que les ressources de la terre ne sont pas inépuisables, et que les demandes de certaines énergies renouvelables sont très importantes à ce niveau-là. Comme le disait Einstein, si je ne disposais que d’une heure pour résoudre un problème dont dépend l’avenir du monde, je passerais 55 minutes à réfléchir au problème et les 5 minutes restantes à la solution. Or, aujourd’hui, j’observe qu’on se précipite d’abord sur les solutions avant de penser à comment résoudre un problème. Il en découle qu’une vraie réflexion s’impose quant à l’outil, comment nous en avons besoin, pourquoi nous en avons besoin, au lieu que cet outil ne nous serve que pour du superflu, un superflu qui lui-même pourra avoir des conséquences néfastes sur nous et notre environnement. Quand on voit ce qu’il se passe aujourd’hui sur Internet, ou que l’on repense à l’idée originelle de l’Open source, on peut être déçu des développements actuels, à cause notamment de ces algorithmes qui vont privilégier les « clicks » intuitifs, vous pister et vous connaître mieux que n’importe qui. D’un autre côté, Internet reste évidemment un outil extraordinaire qui a la capacité de satisfaire des besoins essentiels.
Comment la « Low Tech » s’exprime-t-elle en Roumanie ?
Cette question me fait immédiatement penser à l’association Climatosfera dont je fais partie, qui embrasse la « Low Tech » dans son approche mais pas seulement. Je pense à leurs Fresques du climat, à leurs actions dans les jardins de Bucarest, les Open Garden, pour plus de fraîcheur, ou à leurs initiatives de rencontres entre les générations en collaboration avec des écoles. C’est vraiment une belle association. Quant à la Roumanie de façon plus générale, il est intéressant de voir comment il y a, d’un côté, un grand appétit pour les nouvelles technologies sans qu’on se pose trop de questions sur les conséquences de leurs usages et, d’un autre, notamment à l’extérieur des grandes villes, une façon de faire au quotidien simple, de vivre en accord avec l’environnement, et avec des outils traditionnels qui ne demandent souvent qu’à être légèrement améliorés avec un petit peu de technique. Cela me fait d’ailleurs penser à la thèse de Charles Berville* avec l’UTCB sur un chauffage solaire passif, sans apport d’énergie extérieure si ce n’est celle du soleil. Par effet de serre, le chauffage va capter les rayons du soleil et, via une circulation naturelle de l’air, pourra réchauffer une pièce. C’est dans la lignée de l’appropriate technology, c’est-à-dire dans l’idée de mettre en place des systèmes qui soient durables, pas trop compliqués et accessibles, que ce soit pour l’utilisateur ou l’entrepreneur local. Et c’est aussi un exemple de travail en équipe qui combine le savoir-faire local avec l’innovation universitaire d’aujourd’hui afin d’offrir une réponse locale, équilibrée et accessible à un besoin essentiel.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
* À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Charles Berville (« Regard, la lettre » du samedi 25 juin 2022) : https://regard.ro/charles-berville/
Note : quelques liens proposés par Julien Deltor…
« Nomade des mers », le tour du monde de l’innovation Low Tech / 2016-2022 :
https://lowtechlab.org/fr/le-low-tech-lab/les-actions/nomade-des-mers
Le Low Tech Lab :
https://www.youtube.com/channel/UCu6mFdACj_quODcUujiT62Q
La chaîne de bricolage et d’inventions de B. Chaillot :
https://www.youtube.com/channel/UCg7HRuQ93hl9v8dTSt_XDHA
Low Tech magazine :
https://solar.lowtechmagazine.com/fr
Montréal, le Québec, le Canada : numérique, à quel point ?
https://zenodo.org/record/4306890#.ZGZiMuxBw1I
Les fresques :
https://fresqueduclimat.org/inscription-atelier/