Entretien réalisé le mardi 27 septembre en fin de matinée au studio de RFI Roumanie à Bucarest.
Jean Benoît Manhes est le coordinateur des urgences pour l’Unicef en Roumanie face à la guerre en Ukraine. Il fait ici le point sur la situation des réfugiés, notamment des plus jeunes…
Au cours du premier semestre de cette année, près de 2000 demandes d’asile concernaient des mineurs ukrainiens : 1504 enfants âgés de 0 à 13 ans, et 493 adolescents âgés de 14 à 17 ans. Quelle est la situation aujourd’hui de ces enfants et adolescents sur le sol roumain ?
La Roumanie a accueilli plus de 1,8 million de réfugiés depuis le début de la crise. Et comme dans la plupart des pays frontaliers, ces réfugiés n’ont fait que passer, ils étaient en transit. On estime qu’environ 85 000 d’entre eux sont toujours en Roumanie ; 70 000 ont demandé un statut de protection et, à ce jour, 4397 sont des mineurs non accompagnés par leurs parents. Ces chiffres continuent à évoluer, même si les flots se sont fortement réduits par rapport au pic du début du conflit. Néanmoins, la situation n’est pas stabilisée, et de nouveaux réfugiés arrivent tous les jours. Par ailleurs, de nouvelles problématiques apparaissent pour les arrivants plus anciens, l’accès à l’éducation, à la santé, etc. Il faut souligner que ceux qui sont restés en Roumanie sont en général les plus vulnérables, sans liens avec des parents ou des amis vivant dans d’autres pays.
Comment jugez-vous la coordination de cette crise entre l’État roumain, le secteur privé et les ONG ?
Je voudrais d’abord saluer le soutien massif de la société roumaine dans son ensemble face à ce drame, que ce soit de la part de l’État, c’est-à-dire des autorités centrales et locales, du secteur privé ou des ONG et des volontaires ; une mobilisation impressionnante notamment lors du pic de la crise, entre février et juin. D’autant que la Roumanie, tout comme les autres pays frontaliers, n’était pas du tout préparée à ce genre de situation. Néanmoins, ce contexte particulier a aussi fait apparaître certaines faiblesses et des manques au sein du système public de protection des citoyens. Surtout quand il s’agit aujourd’hui de réfléchir aux préparatifs en cas de nouvelles vagues de réfugiés, ou au suivi rapproché des réfugiés déjà en Roumanie qui ont désormais des problèmes beaucoup plus spécifiques, comme l’accès à certains soins de santé, le problème de la langue, etc. Tout cela nécessite une action plus ciblée, une vision, des informations, des budgets, certes présents mais limités. Quant aux ONG roumaines, qui font du très bon travail, elles sont en général spécialisées dans l’aide à un groupe de population en particulier, ou une zone géographique. La crise actuelle demande une action coordonnée au niveau national, d’autant que sur l’ensemble du territoire, il y a plusieurs points de passage des réfugiés ukrainiens.
Quel est l’état de santé physique et surtout mentale, psychologique des enfants et adolescents ukrainiens réfugiés en Roumanie ?
C’est sans doute le point le plus criant. On a tendance à parler des réfugiés comme d’un groupe homogène, or c’est loin d’être le cas. Il y a beaucoup de mères célibataires parce que leurs maris ont été obligés de rester en Ukraine. Elles se retrouvent seules avec leurs enfants dans un pays dont elles ne connaissent pas la langue. Et ces enfants sont tous différents. Il y a les nourrissons dont les besoins peuvent être relativement bien gérés, et les adolescents. C’est vis-à-vis de ces derniers que nous avons de grandes inquiétudes ; ils ont pleinement ressenti cette guerre, ils ont beaucoup d’angoisses, de craintes et de peurs vis-à-vis de leur avenir proche. Et de façon générale, si les Ukrainiens ont fait preuve d’une très grande résilience jusqu’à présent, leur état se fragilise, notamment pour les femmes isolées et ces adolescents. D’un autre côté, il est important de ne pas négliger la lassitude voire l’agacement que les Roumains pourraient éprouver si ces vagues de réfugiés venaient à s’intensifier. D’autant qu’il y a déjà en Roumanie beaucoup de communautés vulnérables et marginalisées.
Propos recueillis par Olivier Jacques.