Entretien réalisé le mardi 28 mars dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Les Roumains sont-ils devenus eurosceptiques, comme semble l’indiquer un récent sondage réalisé pour le compte du Parlement européen ? Réponse avec Iulian Stănescu, sociologue à l’Institut de recherche sur la qualité de vie (ICCV)…
Le dernier Eurobaromètre réalisé dans les 27 pays membres de l’UE révèle que la confiance des Roumains dans l’Union européenne est inférieure à la moyenne*. Comment l’expliquez-vous ?
Je voudrais d’abord préciser que la « confiance dans l’UE » n’est pas un sujet qui préoccupe naturellement les Roumains, ces derniers s’inquiétant davantage de questions liées à leur niveau de vie, leur travail ou leur famille. C’est pourquoi, lorsqu’on leur pose une question à cet égard, leur réponse est plutôt un écho des messages auxquels ils sont exposés à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Ensuite, dans tous les pays ayant intégré l’Union européenne, surtout en Europe centrale et de l’est, la confiance dans l’UE était très élevée au début. Dans la période de pré-adhésion, les attentes sont dopées par une communication promettant des écoles, des hôpitaux, voire des revenus comme à l’Ouest. Mais les choses ne changent pas du jour au lendemain. Par ailleurs, ces dernières années, le continent a traversé plusieurs crises dont le règlement incombait à Bruxelles : l’aide à la Grèce en crise (2010-2015, ndlr), l’achat de vaccins anti-Covid, le Brexit, les efforts pour trouver une position commune sur le conflit en Ukraine, ou encore le prix de l’énergie. Or, la gestion discutable de ces dossiers aura sans doute affaibli la confiance dans l’UE. Enfin, la migration de la main-d’œuvre, qui avait au début nourri l’europtimisme des Roumains, a ralenti, tandis que la part des envois de fonds dans le produit intérieur brut du pays a baissé, contribuant à un certain désenchantement.
Le pays est néanmoins un bénéficiaire net des aides européennes, pourquoi les Roumains n’évoquent-il pas ce fait lorsqu’ils pèsent les arguments pour et contre l’UE ?
En effet, la rénovation d’une école ou la construction d’un dispensaire grâce à des fonds européens dans une commune est un acquis visible, ayant un fort impact sur la vie des habitants. Mais les gens ont tendance à penser que de tels financements leur sont dus. En outre, ils mettent cela en balance avec les sacrifices qu’ils associent au processus d’adhésion, comme les fermetures d’entreprises, les départs anticipés à la retraite – encouragés dans les années 1990 afin d’empêcher l’explosion du taux de chômage, ndlr –, et d’autres aléas économiques qu’ils ont vécus de façon très concrète.
Cet euroscepticisme en hausse se maintiendra-t-il ?
Comme je le disais, la plupart des pays ont connu la même tendance ; le haut niveau de confiance enregistré immédiatement après l’adhésion a été suivi d’une baisse constante. Certains pays ont vu un rétablissement du niveau de confiance dans l’UE, mais il s’agit surtout de pays d’Europe de l’ouest ayant adhéré avant 1995 et qui ont expérimenté une amélioration des conditions de vie sur le long terme. Dans les années 2009-2011, la confiance dans l’UE a été ébranlée par la crise économique, mais elle s’est graduellement rétablie au fur et à mesure de la résorption de cette crise et de la reprise de la croissance. On peut donc estimer qu’à partir du moment où la Commission et le Parlement européens seront toujours plus impliqués dans des décisions clés de politique publique ayant un impact direct sur le niveau de vie de la population, la confiance dans l’UE se rétablira.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.