Entretien réalisé le jeudi 15 février en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Ancienne journaliste, Irina Breniuc est désormais chef végane. Elle parle ici de l’importance d’adopter les bons gestes dans une logique de santé et de respect de la nature…
Que vous a apporté le véganisme* dans votre vie personnelle ?
Il m’a d’abord permis de mettre en pratique les valeurs dont je parlais dans mes articles de presse. Je suis personnellement devenue végétarienne puis végane après avoir pris la mesure, en tant que journaliste, de l’impact négatif de la production de viande et de produits laitiers sur l’environnement et le climat. Quand nous parlons de consommation de produits d’origine animale, les choses sont beaucoup plus complexes que le simple aspect éthique de ne pas tuer des animaux. Pourquoi ? Entre autres parce que les élevages industriels intensifs utilisent beaucoup d’eau et d’électricité, contribuent à la dégradation des terres en raison du surpâturage, réduisent la fertilité des sols, mais aussi encouragent la substitution des forêts par des prairies. Ceci étant, je voudrais préciser que le fait d’être végane ne veut pas forcément dire avoir une alimentation saine. On peut opter pour le véganisme et manger des ingrédients malsains, surtout que dernièrement, de plus en plus de chaînes de fast food proposent des options végétariennes et même véganes. J’ai choisi ce type d’alimentation surtout pour soulager ma conscience et agir conformément à mes principes. Mes analyses sanguines montrent la même carence en fer dont je souffre depuis toujours. En revanche, mon taux de calcium, faible quand j’étais enfant, est remonté à un niveau normal. Quoi qu’il en soit, il est clair que le véganisme permet de mieux contrôler son alimentation. Par exemple, il est plus facile de connaître le parcours des légumes depuis la terre jusque dans nos assiettes que celui des produits à base de viande, souvent très transformés.
* Mode de vie alliant une alimentation exclusive par les végétaux (végétalisme) et le refus de consommer tout produit (vêtements, chaussures, cosmétiques, etc.) issu des animaux ou de leur exploitation. Source : larousse.fr
En quoi le fait d’être végane est en lien avec votre engagement civique ?
J’ai opté pour une forme de militantisme végane disons plutôt douce, dans le sens où j’essaie simplement d’inspirer les autres en partageant des recettes excluant toute chair animale ou des produits d’origine animale. Contrairement à ce que les gens pensent, une telle cuisine est bien plus diversifiée et plus riche en aliments que la cuisine dite traditionnelle. Elle offre également davantage d’options. En revanche, il est vrai que les produits écologiques sont moins accessibles, ils sont plus chers. Si l’État roumain choisissait de subventionner l’agriculture verte au lieu de subventionner les produits d’origine animale, je pense que davantage de Roumains opteraient pour le véganisme. Ceci étant, et en attendant que cela soit le cas, il y a une multitude de bons gestes à adopter assez facilement. Par exemple, faire ses courses dans le magasin zero waste à Bucarest permet de lutter contre la propagation des emballages en plastique tout en achetant des produits issus d’une agriculture responsable*.
* À lire ou à relire, notre précédent entretien avec la fondatrice de l’épicerie zero waste (« Regard, la lettre » du samedi 22 avril 2023) : https://regard.ro/ana-maria-raducanu/
Votre choix est en opposition avec la culture culinaire roumaine où la viande est très présente. Comment le vivez-vous ?
Je suis originaire de Suceava, en Moldavie, où les gens ont en effet l’habitude de dire que le meilleur légume est le porc, donc je sais très bien qu’il n’est pas facile de changer les habitudes alimentaires. Le plus difficile est de prendre la décision et de faire la transition. C’est notamment l’appréhension à l’heure de modifier ses habitudes qui s’avère le principal frein au changement alimentaire. Pour certains, cela fonctionne mieux en s’y mettant petit à petit. Comme je l’évoquais, j’ai commencé par être végétarienne avant de devenir végane. Le véganisme m’a en outre permis de découvrir une multitude d’aliments dont j’ignorais complètement l’existence. Citons ici la blette dont les feuilles me permettent de préparer de délicieux rouleaux farcis avec un mélange de sarrasin et de champignons. Ou encore le fenouil, très peu connu ici, ainsi que le chou romanesco. Dans la cuisine roumaine, les légumes ne servent généralement qu’à accompagner la viande. Or, à partir du moment où les gens découvrent qu’il y a toute une variété de recettes réellement savoureuses sans aucun produit d’origine animale, le véganisme ne leur paraît plus une option radicale. Et devient du même coup un geste responsable.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.