Entretien réalisé le jeudi 12 juin dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Dans ce nouvel échange, Ion Radu Zilișteanu, professeur associé à l’Académie d’études économiques de Bucarest, analyse le secteur du logement en Roumanie, pris dans la tourmente d’une incertitude à la fois politique et économique …
Lors de notre précédent entretien, à l’automne 2023, vous disiez que le « marché [était] bloqué notamment à cause des taux d’intérêt élevés ». Aujourd’hui, quelle est la situation ?
Les taux d’intérêt sont toujours élevés, notamment à cause des turbulences politiques que traverse la Roumanie depuis la fin de l’année dernière. À cela s’ajoute l’incertitude économique dans laquelle vit la population du fait des mesures que le gouvernement devrait adopter afin de mitiger les profonds déséquilibres dont pâtit l’économie. Je citerais en outre la question des permis de construire délivrés toujours au compte-gouttes, en particulier à Bucarest, ce qui fait qu’on construit très peu actuellement. N’oublions pas ensuite la situation régionale, le conflit en Ukraine. Depuis ce pays voisin, la Roumanie importe un volume important de matériaux de construction dont les prix ont connu une hausse spectaculaire, ce qui s’est évidemment répercuté sur les coûts des travaux. Par conséquent, le marché immobilier connaît une période difficile, comme en témoigne le nombre limité de transactions*. Cette incertitude engendre un attentisme général sur le marché, les vendeurs comme les acheteurs potentiels préférant reporter leur décision. Cela se poursuivra tant qu’on n’aura pas un nouveau gouvernement et qu’on ne saura pas quelles mesures fiscales seront adoptées pour réduire le déficit public.
* Au cours des quatre premiers mois de l’année, le nombre de transactions immobilières a baissé de 8,5% par rapport à la même période en 2024, selon l’Agence nationale de cadastre et de publicité immobilière (ANCPI).
Attardons-nous un peu sur Bucarest… D’un côté, la capitale serait en manque de logements résidentiels ; de l’autre, le centre-ville attend d’être davantage rénové. Peut-on s’attendre à des prix toujours plus à la hausse ?
Dans la capitale, la suspension des plans d’urbanisme a mis un coup de frein à la construction de nouveaux logements ; les chantiers que l’on voit aujourd’hui sont ceux ayant obtenu un permis de construire avant ce blocage. Nous assistons en outre à un paradoxe… certains immeubles anciens sont plus chers, en termes de prix au mètre carré, que des constructions récentes. Cela s’explique notamment par le fait que ces bâtiments se trouvent dans des zones centrales donnant plus facilement accès à des centres commerciaux, des écoles, des maternelles, des églises, et surtout à des transports publics. Car il faut le dire, nombre de nouveaux logements en sont privés. Ensuite, ces derniers temps, des scandales ayant touché plusieurs promoteurs immobiliers, ou encore des problèmes signalés sur des constructions récentes, tels des plafonds qui se sont effondrés, ont engendré une certaine méfiance envers les habitations neuves. Quant à la rénovation des immeubles anciens soumis à un risque sismique, et dont une nouvelle expertise s’impose, les travaux avancent très lentement. C’est également le cas pour la réhabilitation thermique des grands immeubles d’habitation, car le flux des fonds européens consacré à ce domaine s’est tari. On peut d’ailleurs observer que dans la plupart des grandes villes, il y a de moins en moins d’échafaudages érigés sur les façades des immeubles. Conclusion, à Bucarest, il est selon moi difficile de prévoir si les prix vont effectivement augmenter ou plutôt baisser.
Quelles sont aujourd’hui les villes de province les plus prisées ?
L’attractivité des villes d’un point de vue immobilier dérive notamment de leur poids économique et de la présence d’un centre universitaire. Sans surprise, ces pôles de développement sont Cluj, Timișoara, Iași, Brașov, Târgu Mureș… Iași est promise à un développement rapide au fur et à mesure que s’accélère le rythme de construction des autoroutes, et que bientôt la Moldavie sera reliée aux autres régions du pays. Cluj, où plusieurs parcs industriels ont été construits, est en outre plébiscitée par les investisseurs étrangers grâce à sa proximité avec l’Europe de l’ouest et à son réseau de transport l’y reliant. Sans oublier que cette ville est en train de se doter d’un métro, atout essentiel.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (12/06/2025).