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Entretien réalisé le vendredi 13 juin dans l’après-midi, par téléphone et en français (depuis Budapest).


Alors que la Pride de Budapest, la marche pour les droits des minorités sexuelles, doit se tenir le 28 juin, le gouvernement hongrois multiplie les mesures dissuasives. Joël Le Pavous, correspondant en Hongrie pour plusieurs médias français et francophones, décrypte les enjeux de ce rendez-vous, entre tensions politiques et évolution des mentalités…

D’un côté, le maire progressiste de Budapest, Gergely Karácsony, a annoncé que la Pride était un événement municipal qui n’a pas besoin de l’aval des autorités. De l’autre, il y a deux jours, la police a déclaré avoir interdit la marche. Au bouclage de cette édition, chacun maintenait ses positions. Quel message cherche à envoyer le gouvernement Orbán ?

Au-delà de la Pride, il faut savoir qu’en Hongrie les symboles LGBTQ+ sont désormais bannis de l’espace public, cela en vertu d’un amendement renforçant la loi de 2021 sur la protection de l’enfance qui assimile toute visibilité LGBTQ+ à une forme de propagande. Les participants à la marche s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 500 euros. Le message est clair : il ne faut pas qu’on voie la Pride. Cette offensive, lancée dès février lors du discours de Viktor Orbán sur l’état de la nation, s’intègre dans une dynamique autoritaire plus large qui cible également les ONG, les médias critiques et la justice. Orbán cherche à resserrer les rangs dans son camp à l’approche de scrutins difficiles – il y aura des élections législatives en 2026, ndlr –, d’autant que depuis l’automne dernier, les sondages le placent en recul face à l’un de ses principaux opposants, le jeune avocat Péter Magyar. Pourtant, la société hongroise évolue ; l’acceptation des personnes LGBTQ+ progresse, et près de 60 eurodéputés de divers pays ont annoncé leur intention de participer à la Pride pour afficher leur solidarité avec cette communauté. Ce contraste met en lumière une fracture entre la ligne conservatrice du gouvernement et la société qui continue de s’ouvrir.

Alors que 30 000 personnes ont défilé à Bucarest le 7 juin dernier pour les vingt ans de sa Pride, la marche de Budapest s’organise à son tour dans une Europe marquée par la montée des droites radicales et conservatrices. Comment ce climat politique influence-t-il la portée de la Pride à Budapest ?

Comme je le mentionnais, un fossé croissant se creuse entre le discours du pouvoir et l’opinion d’une majorité de Hongrois, notamment dans les villes, qui se montrent de plus en plus ouverts et pro-européens : 80 % des citoyens restent attachés à l’UE malgré la rhétorique souverainiste d’Orbán. À Budapest, les mentalités changent, contrastant avec la ligne répressive du gouvernement fondée sur une vision traditionaliste de la famille en décalage avec la réalité sociale. Cette trentième édition de la Pride prend une portée particulière dans un climat de restrictions accrues, mais il semble peu probable qu’elle devienne un véritable mouvement d’opposition en l’absence d’engagement de figures comme Péter Magyar, qui évite les sujets sociétaux pour se concentrer davantage sur l’économie et la corruption. Si la Pride conserve une dimension politique forte, la peur des amendes et de la reconnaissance faciale pèse sur la mobilisation. Pourtant, la venue d’eurodéputés en soutien, tout comme les appels lancés sur les réseaux sociaux, constitue un geste fort. Reste à voir si cette Pride parviendra à fédérer plus largement et à envoyer un message clair au gouvernement. Difficile de se prononcer pour l’instant.

La majorité de la population hongroise reste-t-elle en faveur de la famille dite traditionnelle ?

Bien qu’Orbán tente d’imposer l’image d’une société hongroise conservatrice et attachée à la famille traditionnelle, la réalité est plus nuancée. Dans certaines zones rurales, ce modèle reste prégnant, mais dans les grandes villes comme Budapest, il y a une autre mentalité. L’image familiale vantée par le gouvernement, et appuyée par des aides publiques, ne correspond plus à la réalité sociologique du pays ; divorces fréquents, familles monoparentales, couples de même sexe privés de droits équivalents… La propagande du pouvoir cible régulièrement les personnes LGBTQ+ tout en cultivant des discours hypocrites, comme l’ont révélé plusieurs scandales sexuels impliquant des figures du parti d’Orbán, le Fidesz. De façon générale, je dirais qu’une majorité silencieuse de la société hongroise ne se montre ni hostile ni engagée, elle accepte que chacun vive sa vie selon ses choix. Sur la question de l’avortement, c’est un peu la même chose qu’avec les minorités sexuelles. Le gouvernement n’interdit pas l’avortement, mais il a mis en place toute une série de mesures pour dissuader les femmes d’avorter ; pas de pilule du lendemain sans prescription, entretien obligatoire avant l’avortement, et toute mère potentielle se doit d’écouter les battements de cœur du fœtus. Quant à la religion, cette même majorité n’est pas autant catholique et pratiquante que le pouvoir central voudrait le faire croire. Les églises se dépeuplent, la religion est beaucoup moins importante qu’en Pologne ou qu’en Roumanie. Moins de 15% des Hongrois vont à la messe tous les dimanches. L’Église en Hongrie est surtout soumise aux prérogatives de l’État qui achète la paix sociale en subventionnant écoles confessionnelles et diocèses.

Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (13/06/25).

Note :

En complément, lire cet article du quotidien française Le Monde (avec l’AFP) concernant l’interdiction d’afficher des symboles LGBT+ sur les bâtiments publics en Hongrie (06/06/2025) :

https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/06/le-gouvernement-hongrois-interdit-l-affichage-de-symboles-lgbt-sur-les-batiments-publics-a-l-ouverture-de-la-pride-de-budapest_6610829_3210.html

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