Entretien réalisé le mercredi 9 novembre dans la matinée, au studio de RFI Roumanie à Bucarest (par vidéoconférence).
Graham Paul est ambassadeur de France à Chișinău. Dans cet entretien, il explique comment son ambassade a fait face au flux de réfugiés depuis l’Ukraine. Et parle aussi de la crise énergétique qui touche la République de Moldavie…
Comment la guerre en Ukraine a-t-elle modifié votre mission diplomatique ?
Elle a tout modifié. L’ambassade de France à Chișinău est une petite ambassade, avec une petite équipe. Dès le début du conflit fin février, nous nous sommes mis en mode gestion de crise, notamment afin de faire face au flux de réfugiés qui fuyaient l’Ukraine. La priorité fut de gérer l’assistance humanitaire. Le 3 mars, on a réussi à faire venir un avion depuis la France avec divers équipements pour héberger les réfugiés. Ce fut la première grosse opération menée par notre ambassade. Nous nous sommes également mobilisés pour livrer des générateurs électriques aux hôpitaux, la République de Moldavie subissant depuis octobre de l’année dernière une grave crise énergétique qui a empiré avec la guerre. L’objectif était d’assurer la soutenabilité des institutions, en particulier des institutions de santé. Des collègues de Bucarest sont aussi venus nous assister dans ce que l’on appelle l’aide aux Français aux frontières, ces compatriotes qui ont fui l’Ukraine et qu’il a fallu accueillir et aider. Par ailleurs, une mission de renfort depuis Paris a travaillé pendant presque deux mois au sein de notre ambassade pour mieux coordonner l’humanitaire et répondre à l’énorme élan de solidarité de la part de la communauté française en France, collectivités territoriales, associations ou simples individus. Aujourd’hui, la situation est stabilisée, même si le nombre de réfugiés reste important, entre 80 et 90 000.
Comment avez-vous vécu en juin dernier la visite du président français Emmanuel Macron ?
Ce fut un moment très particulier, cela faisait vingt-quatre ans qu’il n’y avait pas eu de visite d’un président de la République française, la dernière remontant à 1998 avec Jacques Chirac. Face à ce contexte de guerre, cela a été important pour le pays, évidemment. Cette visite a aussi eu une dimension européenne, la France assurait alors la présidence du Conseil de l’Union européenne. De fait, quelques jours après la venue d’Emmanuel Macron, la République de Moldavie est officiellement devenue pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne. Cette visite fut donc un succès, grâce aussi au travail des autorités moldaves. Quant à notre ambassade, elle a tout fait pour que cela se passe bien. Personnellement, je n’ai été prévenu que quatre jours avant, même si je savais que ce déplacement était sur l’agenda.
Depuis Chișinău, comment vivez-vous les relations entre la République de Moldavie et la Roumanie ?
Ce sont des relations très importantes, culturellement, linguistiquement, historiquement, mais aussi économiquement. Aujourd’hui, la Roumanie représente 20% du commerce extérieur de la République de Moldavie, c’est considérable. Et c’est grâce à la Roumanie que la Moldavie a de l’électricité et du chauffage, notamment depuis que les installations d’électricité ukrainiennes sont visées par des missiles russes. Il faut savoir qu’une grande partie de l’électricité de la Moldavie était fournie jusqu’à présent par la Transnistrie. Or, depuis début novembre, il n’y a plus d’électricité venant de la rive gauche du Dniestr, qui n’a plus suffisamment de gaz pour en produire. Et il n’y a plus d’électricité venant d’Ukraine depuis mi-octobre. Résultat, plus de 70% de l’électricité moldave est désormais assurée par la Roumanie. Le problème est que les interconnexions sont insuffisantes ; une partie de l’électricité roumaine passe par l’Ukraine et la Transnistrie. De façon générale, le manque d’infrastructures complique la situation. Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait presque une trentaine de ponts reliant les deux rives de la rivière Prut. Aujourd’hui, seulement quatre sont en état de fonctionnement. Ceci étant, les gouvernements moldave et roumain travaillent pour résoudre ces carences, deux nouvelles lignes à haute tension sont notamment prévues. En conclusion, je dirais que dans les mois qui viennent, il sera crucial de suivre de très près la situation économique de la République de Moldavie, qui souffre actuellement d’une inflation à 30% et d’une forte récession. La stabilité politique du pays en dépend.
Propos recueillis par Olivier Jacques.