Entretien réalisé le mardi 1er novembre dans la matinée, au siège de l’entreprise Meteor, dans la banlieue de Chișinău (capitale de la République de Moldavie), en roumain.
Ion Ignat est le fondateur et directeur de l’entreprise Meteor srl qui produit des matériaux de construction en République de Moldavie. Devant les prix galopants de l’énergie, il a stoppé sa production pour la première fois en trente ans…
Comment la guerre voisine affecte votre société ?
Aujourd’hui, la situation est grave. Mon entreprise est la seule en République de Moldavie qui produise des briques en béton cellulaire, très utilisées dans la construction. Nous couvrons normalement 40% des besoins du pays, mais l’explosion des prix de l’énergie nous a forcés à arrêter la production le 1er octobre. En début d’année, voyant les mouvements russes près de l’Ukraine, je sentais que la guerre allait venir ; j’ai donc demandé à mes équipes de produire davantage. Je savais que la Russie finirait tôt ou tard par nous faire chanter au niveau énergétique puisqu’en ce qui concerne le gaz, nous sommes totalement dépendants des Russes. En ce moment, nous vivons sur le stock de briques que nous avons constitué, et mes cinquante employés ne sont pas au chômage technique car nous profitons de cet arrêt forcé pour effectuer des travaux de rénovation et d’agrandissement de l’usine. Nous avons de quoi tenir sept mois. J’espère qu’avec le printemps viendront de meilleures nouvelles.
Comment ont évolué vos dépenses ?
En moyenne, nous consommons 100 000 m3 de gaz par mois. Or, le prix du gaz a été multiplié par sept depuis le début de l’année. Du coup, toutes nos matières premières et nos coûts de transport ont énormément augmenté. Par exemple, le prix de la chaux que nous importons de Roumanie a cru de 50%. Toutes ces augmentations mises bout à bout représentent une somme importante, nous ne pouvons plus continuer notre activité. L’État moldave est pauvre et n’a pas les moyens d’assumer des aides financières pour les agents économiques, comme c’est le cas en Roumanie, notamment avec le plafonnement des prix de l’énergie. Nous devons donc tous être responsables ; c’est aussi la raison pour laquelle nous avons arrêté notre activité, très énergophage. Quant aux travaux que nous menons, nous respectons les directives du gouvernement visant à réduire la consommation durant les heures de pointe. Et nous avons adapté le programme de nos équipes en fonction.
Selon vous, quelles sont les perspectives de sortie de crise ?
Nos gouvernements précédents se sont toujours conduits comme des amis de la Fédération russe. Il va donc être difficile de sortir de cette situation puisque nous ne nous sommes pas encore affranchis de l’influence russe, malgré le gouvernement de Maia Sandu – la présidente du pays, ndlr. On a aujourd’hui un pied en Russie et un pied en Europe. Je pense c’est la période la plus difficile pour notre pays depuis 1991. Mais avec du courage et si nous arrivons à mettre nos deux pieds au sein de l’Union européenne, alors on pourra s’en sortir. Dans le milieu des affaires et des entrepreneurs, je dirais que c’est l’opinion qui prédomine à 80%. Je ne suis pas politicien et je n’appartiens à aucun parti, mais c’est la seule option réaliste ; nous devons échapper au chantage et à la Russie.
Propos recueillis par Hervé Bossy.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Igor Munteanu sur le contexte général en République de Moldavie (« Regard, la lettre » du samedi 15 octobre) : https://regard.ro/igor-munteanu-2/