Entretien réalisé le lundi 29 mai dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis Constanța).
Qui a dessiné les frontières de la Roumanie ? George Secăreanu, chercheur à l’Université Ovidius de Constanța, évoque le rôle crucial joué à cet égard par le géographe français Emmanuel de Martonne (1873-1955), alors qu’une nouvelle organisation territoriale du pays est actuellement en débat…
Pourquoi la Roumanie doit-elle ses frontières au géographe français Emmanuel de Martonne ?
Emmanuel de Martonne mériterait une statue dans chaque localité le long des frontières roumaines. Ce géographe, qui connaissait très bien la Roumanie où il avait passé une quinzaine d’années et dont il parlait la langue, a mis ses connaissances au service de la vérité et de la justice. Compte tenu de son expérience, en 1917, il a été désigné secrétaire général d’un comité d’études chargé de préparer le terrain pour les négociations de paix devant entériner la fin de la Première Guerre mondiale. Dans les travaux de ce comité, il a fourni des arguments étayant l’appartenance du Banat, de la Transylvanie, de la Bessarabie et de la Dobroudja à l’âme roumaine. Utilisant des critères géographiques et économiques, il a ainsi réussi à tracer des frontières durables. Le géographe a notamment soutenu le principe de la viabilité, estimant qu’un pays dont les frontières occidentales suivraient les monts Apuseni ne serait pas fonctionnel d’un point de vue économique. Et de rappeler que la population rurale de Transylvanie était majoritairement roumaine. Il a également trouvé la meilleure façon de dessiner la frontière avec la Serbie, et a su rejeter les prétentions de la Bulgarie sur la Dobroudja.
Les frontières n’ont pas changé depuis, mais le pays a par la suite connu plusieurs réformes administratives. Et aujourd’hui, une nouvelle organisation territoriale est à l’étude…
En effet, on parle souvent de la réforme de 1968 qui est toujours en vigueur, mais la Roumanie a été le théâtre de plusieurs réorganisations de son territoire, notamment sous le régime communiste, en 1952, 1956 et 1960. Ces modifications avaient pour but de répondre aux besoins d’un État doté d’une économie centralisée, mais illustraient en même temps la réalité démographique. En 1958, la Roumanie comptait 58 départements et 6276 communes pour une population de 16,3 millions d’habitants, dont seuls 4 millions vivaient en milieu urbain. Aujourd’hui, on compte 3282 communes pour une population d’environ 19 millions, et 41 départements. À mon avis, réduire le nombre de départements, comme le souhaitent certains, n’est pas une bonne idée. Au contraire, il faudrait décentraliser davantage et partager le pouvoir entre le plus grand nombre de personnes, ce qui permettrait d’avoir un plus grand contrôle sur le processus décisionnel.
Vous plaidez en même temps pour un développement plus rapide des zones rurales défavorisées…
C’est un enjeu crucial, et pour cela, nous avons besoin d’un milieu des affaires puissant. Les campagnes pâtissent de la réticence des fermiers à s’associer, ce qui les empêche d’entrer sur le marché de la grande distribution, mais aussi d’une pénurie d’emplois pour les femmes, un potentiel énorme que la Roumanie ne fructifie pas. Le gouvernement devrait pour sa part planifier des investissements dans ces zones afin d’enrayer l’émigration.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.