Entretien réalisé le lundi 29 mai dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis Oradea).
Philosophe et enseignant-chercheur à l’Université d’Oradea, Mihai Maci se penche sur l’éducation roumaine, en proie à une grève nationale…
Quel diagnostic portez-vous sur l’enseignement en Roumanie ?
L’école roumaine se trouve dans un état grave. La plupart des jeunes qui terminent le lycée ont un niveau de connaissances précaire. Quant aux plus doués, ils choisissent souvent de quitter le pays. C’est bien le résultat de cinquante ans de mépris envers l’école, un mépris qui date des lycées industriels de Nicolae Ceaușescu et qui se poursuit, qu’on parle des salaires des enseignants ou des infrastructures vétustes, parfois restées inchangées depuis les années 1960. Il faut ensuite constater que la Roumanie a échoué à réfléchir à un système éducatif ayant une véritable composante sociale. D’un côté, l’école a été perçue de façon simpliste comme un lieu où l’on apprend les opérations a, b et c avant de trouver un emploi ; mais pour ce type de formation, quatre années de lycée ne sont pas nécessaires. De l’autre, on y a attaché une vision très abstraite d’excellence, sans vraiment comprendre ce que cela signifie. En fait, il faudrait penser aux besoins concrets de la Roumanie. On se plaint, par exemple, du fait que ce pays exporte son blé bon marché et importe en échange des produits de pâtisserie congelés. Que faire pour que cela change ? Pourquoi ne pas construire, dans une région céréalière, des usines de transformation et des écoles qui forment des ingénieurs chimistes et agroalimentaires, ainsi que des ouvriers. Une constellation de telles écoles stabiliserait la population et deviendrait un pôle de développement. Ce n’est qu’un exemple.
Que pensez-vous de la grève en cours ? Le malaise des enseignants est-il uniquement lié au niveau des salaires ?
Il s’agit certainement d’un mécontentement plus profond, c’est le statut même des enseignants qui est en jeu. Le salaire n’en est qu’une composante, bien qu’elle soit essentielle. Si après six, sept ou huit ans d’études un enseignant ne perçoit que le salaire minimum, comment peut-on ensuite convaincre les jeunes que cela vaut bien la peine de terminer l’école ? Il s’agit avant tout d’une question de respect.
Que devrait-on faire pour guérir ce secteur ?
Comme avec n’importe quel malade, il faudrait d’abord faire des analyses ainsi qu’une anamnèse. Par exemple, en envoyant une équipe formée d’experts en éducation, psychologie, économie, sociologie, dans trois établissements scolaires distincts situés dans une zone défavorisée, une petite ville de province et une grande ville. Ces experts devraient y passer un an ou deux afin d’observer comment se déroulent les cours, comment répondent les élèves, ainsi de suite. Nous aurions alors une image de ce que représente réellement l’école en Roumanie. Les rapports qu’on nous présente aujourd’hui sont truqués, on ignore les problèmes. Ces experts ne seraient pas appelés à juger ou à punir, mais juste à comprendre. Et deuxième chose, il faudrait encourager les enseignants à parler, à évoquer les défis auxquels ils sont confrontés, sans crainte de représailles.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.