Entretien réalisé le vendredi 2 juin en fin de journée, au studio RFI Roumanie de Bucarest.
Rencontre avec François Coste, directeur général de Groupama en Roumanie depuis 2012, et président de la Chambre française de commerce et d’industrie en Roumanie (CCIFER) depuis 2016. Il fait part ici de quelques réflexions avant son départ du pays…
Vous quittez bientôt la Roumanie, comment vous sentez-vous ?
À la fois triste et heureux. Triste parce que je quitte la Roumanie au bout de douze années pendant lesquelles j’ai pu pleinement découvrir ce beau pays. Aujourd’hui, je peux dire que je me sens un peu roumain. Et heureux, aussi, parce que j’ai eu l’opportunité d’apprécier les Roumains, d’apporter ma contribution dans un certain nombre de domaines, à la force de la relation entre la France et la Roumanie, et au développement de notre communauté d’affaires. D’une part, la Roumanie m’a beaucoup sollicité, je crois que je n’ai jamais autant travaillé ; mais qui travaille heureux, travaille bien. D’autre part, ce pays m’a permis d’être moi-même. Pour la première fois dans ma vie, j’ai trouvé un environnement où j’ai pu aligner mes croyances, mes valeurs et mes actions. J’en suis très reconnaissant. Quand on arrive à être soi-même, c’est-à-dire à agir selon ses valeurs et ses croyances profondes, c’est une vraie source de bonheur.
Avec vous à sa tête, Groupama Roumanie a racheté plusieurs sociétés, son chiffre d’affaires a triplé en quelques années, et le groupe est aujourd’hui leader sur le marché des assurances. Comment avez-vous aussi bien réussi ?
Je pense d’abord qu’il y a un certain nombre de tentations dans lesquelles un dirigeant ne doit pas tomber. La première tentation, c’est de rechercher l’harmonie à tout prix. Quand on dirige une organisation, selon moi, on ne doit pas forcément rechercher l’harmonie, mais plutôt la complémentarité des points de vue. Il faut favoriser le conflit d’opinions. Pas de personnes, mais d’opinions. Parce que c’est dans le conflit que les bonnes décisions naissent. Deuxième tentation, la popularité, autrement dit vouloir être aimé. Quand on est responsable, on se sent parfois un peu seul, mais il est nécessaire de maintenir une certaine distance, tout en étant proche des gens et de son équipe. Et de bien mettre chacun face à ses responsabilités, au service de l’organisation. Une autre tentation, ce sont les certitudes, de baser les décisions sur des certitudes. Nous vivons depuis de nombreuses années dans un monde de chaos ; malheureusement, les certitudes n’existent pas. Et les dirigeants sont là pour prendre des risques. Enfin, deux dernières tentations qui me viennent à l’esprit… Celle de se croire invulnérable, croire que l’on sait tout. C’est d’autant plus dommageable que c’est en acceptant sa propre vulnérabilité que l’on crée la confiance avec les autres. Et celle de l’égo, du statut. Quand on dirige une organisation comme celle qui m’a été confiée, on doit d’abord rechercher la performance de l’entreprise et le développement des hommes. Il m’a fallu un certain temps pour faire comprendre tout cela à mes collaborateurs d’une façon simple. Mais cela a été ensuite un ciment extrêmement fort dans la performance de notre équipe.
Quels messages ou conseils souhaiteriez-vous donner à la Roumanie ?
Je vais répondre à votre question, mais en premier lieu, je vous dirais qu’à ce stade de ma vie, ce qui me mobilise beaucoup, c’est le besoin de contribuer au bien commun. Et le bien commun, ce n’est pas l’intérêt général. C’est vraiment contribuer à un monde durable, à la fois sur le plan environnemental, mais aussi pour une justice sociale plus forte, dans l’intérêt de l’homme et par l’homme. En étant ici, j’ai voulu apporter ma petite contribution au bien commun ; j’ai pu le faire en dirigeant Groupama, et en tant que président de la CCIFER. C’est ce qui m’a donné et continue de me donner de l’énergie tous les matins quand je me lève à cinq heures pour préparer la journée. Et pour répondre à votre question, deux mots me viennent à l’esprit : la reconnaissance et la confiance. Reconnaissance à la Roumanie et aux Roumains pour l’accueil qui m’a été accordé, reconnaissance pour m’avoir permis d’être moi-même, reconnaissance pour mon développement à la fois professionnel, personnel et spirituel, reconnaissance pour m’avoir soutenu dans mes différentes activités. Et puis reconnaissance pour quelque chose qui est très précieux, et dont les Roumains ne sont pas forcément conscients : la sécurité. Il y a ici un environnement de sécurité physique remarquable. Je mentionnais également la confiance. Confiance dans la Roumanie, dans son développement, dans sa belle convergence au sein de l’Union européenne, et confiance dans le fait que l’Union européenne a besoin de la Roumanie pour sa propre transformation dans un ensemble politiquement et économiquement encore plus fort.
Propos recueillis par Olivier Jacques.