Entretien sur l’art et la vie avec George Bodocan alias « Bodo », peintre et artiste visuel qui vit en France depuis 2008…
Que souhaitez-vous transmettre à travers votre art ?
La base de mon art est l’interaction humaine. C’est un langage que j’ai développé en arrivant à Paris. Au début, ne parlant pas bien français, je me suis enfermé dans ma bulle et ne faisais que dessiner des esquisses et des silhouettes. Je suis alors arrivé à des personnages avec un seul regard. Le regard, c’est le premier impact lors d’une interaction entre deux êtres. Puis j’ai travaillé et habité dans des squats ouverts au public. Et je me suis nourri de cette énergie que les gens dégagent, des rencontres. C’est le plus important pour moi. Une autre chose que j’ai apprise dans les squats parisiens et qui se reflète dans ma vie et mon art est cette notion d’éphémère. Elle vous apprend que rien ne dure et que le matériel n’est pas important. Aujourd’hui, les gens vivent sous tension, avec des crédits à payer. Ils ont l’impression qu’ils ont une existence infinie, mais au final, ils renoncent à leur vie.
Comment le fait d’être ailleurs, en France ou au Maroc où vous avez obtenu une résidence d’artiste, a influencé votre pratique ?
J’ai une mauvaise mémoire, il est donc essentiel pour moi d’aller sur place pour vivre les choses afin de mieux les comprendre. J’ai besoin d’avoir des contacts directs, chaque interaction que l’on a dans une vie change quelque chose en nous. Ce n’est pas tout de suite flagrant mais cela peut se voir ensuite dans mes œuvres. C’est pour cela que le musée que je préfère à Paris est le Musée du quai Branly. Les anciennes civilisations et cet esprit primitif m’inspirent. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que je définirais une partie de mon art comme « Primitive Urban ». Aujourd’hui, je suis installé dans une zone rurale près de Poitiers, de nouvelles choses vont peut-être s’introduire dans mon langage. J’aime utiliser le mot langage pour l’art ; comme une langue, il s’enrichit de ces découvertes et rencontres. C’est comme un mot, un tic, une phrase qu’on aime, quelque part, et qu’on récupère. J’absorbe tout.
Qu’apporte votre culture natale à votre art, et peut-être à votre vision du temps et de l’espace ?
En ce qui concerne la notion de temps, j’ai plutôt découvert l’éphémère en France, dans le milieu alternatif, plus qu’en Roumanie. L’éphémère pour moi est lié à la compréhension de la mort. Les Roumains sont plus fatalistes, leur société est organisée autour de la famille, des ancêtres, des traditions. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis bien adapté au Maroc, où il y a beaucoup de ressemblances avec la Roumanie. Il est intéressant de voir à quel point des cultures très éloignées ont les mêmes symboles. Pour revenir à ma pratique, comme je le disais, je prends un peu de tout. Bien sûr, beaucoup de choses venant de Roumanie m’ont inspiré, les sculptures sur bois du Maramureș, les tapis colorés de Moldavie… Je viens de la région d’Alba Iulia, où le noir et le blanc sont très présents. Et c’est sans doute pour cela que durant mes trois premières années à Paris, je n’ai pas touché à la couleur. Pour conclure, je dirais que tout est lié, parce qu’on est la somme de tout ce qu’on a vécu et de toutes les rencontres que l’on fait dans la vie.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Le site de l’artiste : https://georgebodocan.com/