Suite à la demande d’un couple homosexuel, la Cour constitutionnelle est appelée à trancher le 27 octobre sur une question sensible : la Roumanie doit-elle modifier sa législation pour reconnaître les mariages entre individus de même sexe ? Déjà reportée à deux reprises, cette décision risque de susciter une tempête, que ce soit au sein des défenseurs des droits des personnes LGBT * ou parmi les militants pour les valeurs de la famille traditionnelle. Elle devra toutefois passer, le cas échéant, le vote des parlementaires.
« Il s’agit d’un dossier complexe. Nous devons analyser en détail la législation européenne en la matière, en plus des documents déposés par les deux intéressés et les différents intervenants », expliquait le 20 septembre dernier le président de la Cour constitutionnelle de Roumanie (CCR), Valer Dorneanu. « Il n’est pas simple de trancher sur un cas ayant un fort impact médiatique », ajoutait-il.
Le dossier porte sur la demande d’un couple gay de bénéficier en Roumanie – devant les autorités, à l’hôpital ou chez le notaire – des mêmes droits que n’importe quelle autre famille. Légalement mariés à Bruxelles en 2010, le Roumain Adrian Coman et l’Américain Clai Hamilton veulent notamment pouvoir s’installer en Roumanie sans que Clai doive renouveler tous les trois mois son permis de séjour. Les deux hommes « sont confrontés à une réalité juridique aberrante : quand ils sont à l’étranger, ils sont mariés, mais dès qu’ils traversent la frontière roumaine, ils ne le sont plus », a déploré Romaniţa Iordache, vice-présidente de l’association Accept qui défend les droits des minorités sexuelles.
Adrian et Clai se sont adressés à un tribunal d’arrondissement de Bucarest qui a renvoyé le cas à la haute juridiction. Les juges de la CCR doivent maintenant vérifier la constitutionnalité d’un article du code civil selon lequel « les mariages entre personnes de même sexe conclus à l’étranger entre des ressortissants roumains ou étrangers ne sont pas reconnus en Roumanie ».
« La Constitution roumaine protège le droit à la vie privée et à la famille de tous les citoyens. Voilà donc la base légale pour une solution favorable à notre demande », ont indiqué les deux hommes. Rappelant que les membres de leur minorité remplissent leurs devoirs envers l’État, ils ont regretté qu’en l’absence d’une reconnaissance de leur statut, ces derniers soient contraints « de quitter le pays, ou de vivre cachés ».
Selon Accept, plusieurs autres couples gays se sont plaints de discriminations. Deux hommes, parents adoptifs de deux jumeaux, ont ainsi saisi le Conseil national anti-discrimination (CNCD) après qu’on les ait empêchés de changer leurs enfants dans les vestiaires d’une piscine ouverte dans un hôtel bucarestois. « Très peu de personnes appartenant aux minorités sexuelles ont le courage de s’adresser au Conseil pour dénoncer des discriminations dont elles sont victimes, mais selon les sondages, les homosexuels figurent parmi les trois premières minorités les plus marginalisées en Roumanie », a récemment déclaré le président du CNCD, Csaba Asztalos. Selon lui, un État membre de l’UE n’est pas tenu de reconnaître les mariages ou les unions gays, « mais si la Roumanie ne trouve pas elle-même une solution, la jurisprudence européenne va la contraindre à mettre en place un cadre légal pour protéger les droits de ces personnes ». Aujourd’hui, 15 pays européens, dont 13 membres de l’UE, reconnaissent le mariage homosexuel, tandis que 24 pays européens autorisent l’union civile pour les homosexuels.
Les opposants aux droits de cette minorité ont marqué un point en juillet dernier lorsque la Cour a validé une « initiative citoyenne » visant à formellement interdire dans la Constitution les mariages gays. Les auteurs de l’initiative, des membres d’ONG proches de l’Église orthodoxe, veulent que la Loi fondamentale soit amendée afin de définir le mariage comme « l’union librement consentie entre un homme et un femme », et non « entre époux », comme c’est le cas actuellement. Cette proposition a été transmise au Parlement qui doit la soumettre au vote et, le cas échéant, fixer une date pour la tenue d’un référendum. « Nous attendons que le Parlement vote sur cette question avant les élections » du 11 décembre, ont indiqué les membres de la Coalition pour la famille, qui assurent avoir recueilli 3 millions de signatures en faveur de cet amendement.
Mais la question est délicate, et selon plusieurs élus, elle devra attendre le prochain Parlement pour être examinée. « Se pencher sur ce thème avant les élections n’est pas souhaitable, estime M. Asztalos, cela risque de déclencher une campagne homophobe ».
Mihaela Rodina (octobre 2016).
* LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.