Entretien réalisé le jeudi 13 janvier en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Le sociologue Gelu Duminică est directeur exécutif de l’agence de développement communautaire Împreună, active en faveur des communautés marginalisées, en particulier les Roms. Il parle ici de politiques familiales et de démographie…
Comment a évolué la perception et la protection de la famille depuis l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007 ?
Le modèle traditionnel de la famille roumaine, soit un homme et une femme, n’a pas bougé. La société n’en accepte pas d’autre. Le paradoxe, c’est que la majorité des naissances a désormais lieu hors mariage. Pour ce qui est de la protection de la famille, là encore il y a eu peu d’évolutions. En réalité, les avancées datent plutôt de la période de pré-adhésion, notamment la dépénalisation de l’homosexualité qui a eu lieu en 2001, ou encore l’apparition d’aides financières pour les familles nombreuses et pour celles résidant en milieu rural. Des droits qui ont généré l’apparition dans l’espace public de clichés visant à en faire des assistés vivant au crochet de l’État. Ce qui est profondément faux ; de toute l’UE, la Roumanie est le pays qui consacre la plus faible part de son PIB à la protection sociale. Les politiciens ont toujours joué sur ces lieux communs, alors que l’État est loin de protéger les plus vulnérables.
Les bénéficiaires des politiques familiales ne seraient donc que des « pauvres » ?
Celles-ci sont en effet basées sur le principe d’équité et soutiennent surtout les personnes dans le besoin ; les familles nombreuses, celles avec un enfant handicapé, les familles monoparentales… Et c’est tout. Or, l’État devrait aussi prévoir des services d’accompagnement, des crèches, des centres d’orthophonie, etc. Ce qui n’existe pas ou peu. Prenez les crèches… Sur un nombre total d’environ 300, seules 10 sont en milieu rural. Ou encore les services publics d’assistance sociale qui ne fonctionnent que dans 60% des unités administratives territoriales, notamment par manque de spécialistes. En outre, les politiques familiales ne prennent pas du tout en compte la qualité de vie. La classe moyenne roumaine n’a pas vraiment de problèmes d’argent pour élever un enfant. Ces gens-là ont par contre besoin de services, de crèches, de bonnes routes, d’un environnement politique cohérent… Depuis cinq, six ans, ce sont eux qui quittent le pays, et non plus les milieux défavorisés. Beaucoup sont partis après le Colectiv* par crainte du système de santé, et en quête d’une société véritablement européenne. On constate d’ailleurs que le nombre d’enfants roumains qui naissent hors des frontières est largement supérieur à ceux qui naissent ici. Les Roumains veulent faire des enfants, c’est juste qu’ils ont un problème avec la société dans laquelle ils vivent.
* Le 30 octobre 2015, l’incendie de la discothèque Colectiv à Bucarest a fait 64 morts et plus de 150 blessés. De grandes manifestations ont suivi ce drame, dénonçant le lien entre la corruption et cet incendie. Elles ont mené à la démission du gouvernement de Victor Ponta.
Précisément, la démographie en pâtit…
C’est même le plus grand enjeu auquel va se confronter le pays dans les années à venir. En 1990, la population était relativement jeune. Conséquence de la politique de natalité folle établie à la fin des années 60 et interdisant l’avortement, le pays comptait 23 millions d’habitants en 1989. La chute de la démographie a été ahurissante ; on est passé d’une moyenne de 2,7 enfants par couple en 1990 à 1,1 aujourd’hui. Le vieillissement de la population roumaine est le plus élevé d’Europe, auquel se rajoute l’émigration, là encore la plus élevée de l’UE. Actuellement, une personne active soutient un retraité ; dans vingt ans, ce seront cinq retraités pour une personne active. La seule solution, à court terme, est d’ouvrir les portes à l’immigration. Il faudrait aussi revoir le système des retraites. Elles augmentent en permanence, alors que le fonds de retraite est déficitaire et que les employés sont déjà taxés à hauteur de 50%. On ne peut pas tenir à ce rythme.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.