Entretien réalisé le lundi 17 janvier en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis la Suisse).
Que va-t-il se passer sur la scène politique roumaine dans les mois à venir ? Éléments de réponse avec Liliana Popescu, professeure universitaire à l’École nationale des sciences politiques et d’administration (SNSPA)…
2022 est une année sans élections. Or, les partis au pouvoir, bien qu’ils détiennent une majorité confortable au Parlement, échouent souvent à s’accorder. Quel sera leur défi politique le plus important ?
Selon moi, ce qui se passe en dehors de la Roumanie sera le plus grand défi politique pour tout le monde. Les partis au pouvoir, troublés par des conflits internes, semblent avoir perdu de vue ce qui se passe autour d’eux, et ne réalisent pas la position difficile dans laquelle se trouve la Roumanie en ce moment. La relation déplorable entre les États-Unis et l’OTAN d’un côté, et la Russie de l’autre, est notoire. La tension est aujourd’hui maximale, elle est notamment provoquée par l’ultimatum de Moscou concernant la modification des relations de sécurité en Europe de l’est. Malheureusement, nos politiques ne semblent pas prêter beaucoup d’attention à ce contexte compliqué. Un premier défi sera donc pour les autorités d’être davantage conscientes de ce qui se passe et d’en tenir compte, d’autant plus que le chef du gouvernement est un homme qui a eu, avant sa courte carrière politique, une carrière militaire plus longue. D’autre part, la Roumanie devrait être plus vigilante vis-à-vis du contexte européen. À ce titre, je trouve les récentes déclarations du président de l’Académie roumaine plutôt mal venues.* Ce n’est pas le moment de faciliter la propagation d’attitudes anti-européennes, je ne sais même pas où cela pourrait mener, car nous ne pouvons pas changer notre position géographique et je n’imagine pas la Roumanie évoluer vers des situations de pays comme la Turquie ou la Russie. Si nous regardons les sondages réalisés l’année dernière, nous voyons que la population est devenue moins pro-européenne, alors que nous étions les champions du pro-européanisme. Pendant ce temps, l’Union européenne via le PNRR – Plan national de relance et de résilience, ndlr – aide la Roumanie de façon très cohérente.
* Ioan-Aurel Pop, président de l’Académie roumaine, lors de la Journée de la culture, le 15 janvier dernier : « La culture européenne n’existe pas en soi, car elle n’est pas le produit d’un peuple européen ou d’une langue européenne. La culture européenne existe à travers les cultures nationales qui expriment les spécificités de chaque peuple, dans le cadre d’un patrimoine européen commun. » (Source : AgerPress)
Du côté de l’opposition, on assiste à des combats de plus en plus féroces entre USR et AUR. Que va-t-il en ressortir ?
La coalition actuelle, aussi majoritaire soit-elle, finira par s’éroder, surtout dans les conditions actuelles, pandémie, coût de l’énergie, et des incertitudes multiples. Les conflits auxquels vous faites allusion sont naturels. Malheureusement, si USR ne prend pas de décisions fermes quant à la stratégie de sa relation avec son électorat et son électorat potentiel, elle risque de perdre, d’autant qu’AUR est extrêmement active et progresse. Les dirigeants d’AUR utilisent très bien les réseaux sociaux, ils sont sur le terrain tous les jours, ils parlent aux gens, et font très bien semblant de s’intéresser aux problèmes des citoyens. Mais la réalité est l’épisode de Timișoara, lorsqu’ils sont entrés de force dans la mairie, le 14 janvier dernier. USR doit développer son activisme, sinon elle risque de tout perdre, non seulement contre AUR mais aussi contre les partis au pouvoir.
Comment jugez-vous l’absence prolongée du président Klaus Iohannis ces derniers temps ?
Monsieur Iohannis a donné une certaine configuration à la présidence. Il a souvent été absent à des moments où ses prédécesseurs étaient très présents. D’autres fois, il a réagi, et je ne peux pas m’empêcher de le défendre. Exemple, lorsque le Parlement a voté une loi sur l’éducation pour que le discours sur le genre soit interdit, il a fait appel devant la Cour constitutionnelle qui, à la fin, a rejeté la loi. Dans le même temps, je suis d’accord avec les critiques quand il visite l’Égypte à des moments inopportuns, ou la façon dont il a exprimé sa passion pour le golf. Selon la Constitution et la coutume établie au cours des trente dernières années, le président a de grands pouvoirs en Roumanie, tout d’abord parce qu’il est élu directement par le peuple. Il pourrait sans doute mieux les utiliser. De son côté, la coalition actuelle voudrait revenir à une élection indirecte, ce qui serait une erreur, à mon avis. Nous avons l’exemple du pays voisin, la République de Moldavie, qui a connu une instabilité maximale pendant de nombreuses années ; le Parlement élisait le président. Au final, ils sont revenus à la formule de l’élection directe.
Propos recueillis par Carmen Constantin.