Entretien réalisé le mardi 18 janvier en fin de journée, par téléphone et en français (depuis Paris).
Né en Roumanie et vivant en France, Gabriel Badea-Päun est docteur en histoire de l’art à l’université Paris IV-Sorbonne. Dans cet entretien, il s’intéresse aux peintres roumains ayant voyagé en France, et à ce qui a influencé les œuvres de l’époque…
Quelles étaient les caractéristiques techniques des peintres roumains du 19ème, et en quoi étaient-ils différents des autres ?
En Roumanie, la peinture sur chevalet a commencé à se développer seulement vers 1800, donc assez tard. Il convient de préciser que les premières écoles roumaines de peinture datent de 1864, l’une à Bucarest et l’autre à Iași. Et ce n’est qu’après 1830 que les peintres roumains commencent enfin à pouvoir étudier en Occident. Ce fut le cas de Ion Negulici à partir de 1834, ou de Theodor Aman dans les années 1850, à Paris et ensuite à Barbizon – commune de Seine-et-Marne, l’un des lieux mythiques de la peinture pré-impressionniste en France, ndlr –, ou de Gheorghe Tattarescu, à Rome. Ceci étant, la figure de proue de cette période-là est celle de Nicolae Grigorescu qui ne sortait d’aucune école, fut seulement apprenti d’un peintre d’églises, mais qui a imposé son talent. De fait, c’est bien cet artiste qui, après un passage en France, à Paris et à Barbizon, a su créer son propre langage qui sera imité par la suite par nombre d’artistes roumains jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Quels étaient les thèmes de prédilection des artistes roumains de l’époque ?
En général, les thèmes étaient influencés par les préférences des mécènes ou des possibles commanditaires. La plupart souhaitaient des portraits. Si, dans un premier temps, la nature morte et les paysages étaient moins appréciés, la situation changera après le retour en Roumanie de Theodor Aman, puis de Nicolae Grigorescu, à la fin de sa période à Barbizon. Même si au départ ce grand artiste s’est vu reprocher dans ses paysages l’inachevé de sa touche, proche de l’impressionnisme, il finira par imposer, à partir des années 1890, ses paysages d’inspiration rurale, peuplés de figures de paysans ou de bergères. C’est d’ailleurs à cette époque-là que la Roumanie cherchait à se forger une identité nationale. Mais cette quête de fibre nationale transparaissait aussi dans les tableaux des peintres de l’Europe du nord ou centrale, chez les Suédois, les Polonais ou les Ukrainiens.
Quel était le rapport de l’État roumain avec ces artistes ?
Au début, le soutien de l’État fut très modeste. N’oublions pas que les premières bourses offertes par la Roumanie datent de 1870. Voilà pourquoi les peintres dépendaient plutôt de leurs commanditaires que des institutions publiques. En 1873, par exemple, lors de la première grande exposition d’art roumain, des tableaux de Grigorescu ont été achetés par des figures importantes de la Roumanie de l’époque, telles le futur roi Carol I ou son Premier ministre Ion Ghica, ce qui a propulsé l’artiste. Mais on ne saurait parler de commandes publiques avant les années 1890-1900, lorsque l’État fera appel aux peintres pour leur demander d’orner les palais et les grands édifices construits pendant cette période. Et à partir de 1890, de plus en plus de Roumains issus de la bourgeoisie moyenne commenceront aussi à avoir les moyens de partir à l’étranger pour y étudier.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.
Note : Gabriel Badea-Päun a publié plusieurs ouvrages, dont Carmen Sylva, reine Elisabeth de Roumanie (1843-1916) chez Via Romana en 2011, Portraits de société XIXe-XXe chez Citadelles et Mazenod en 2007 (avec la variante anglaise The Society Portrait, coproduction Thames and Hudson, Londres, et Vendome Press, New York), livre couronné par le Prix du Cercle Montherlant – Académie des Beaux-Arts (2008). Et Le Style Second Empire. Architecture, décors et art de vivre, Citadelles et Mazenod, 2009, Prix Second Empire de la Fondation Napoléon. Son ouvrage le plus récent, Les Peintres roumains et la France (1834-1939) chez In Fine (2019), sera bientôt disponible aussi en roumain.