Entretien réalisé le lundi 12 février dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis Iaşi).
Entretien avec Felix Aftene, l’un des artistes visuels les plus influents de Roumanie. Fait rare, son opinion sur le développement de l’art contemporain dans le pays est plutôt positif…
Comment voyez-vous l’évolution des arts visuels roumains ?
Je dirais d’abord qu’il y a un élargissement des moyens d’expression artistique utilisés par les artistes visuels locaux. Parallèlement, les galeries d’art et les musées sont non seulement devenus plus accessibles à un large public, ils sont aussi plus dynamiques. Résultat, ces lieux attirent aussi bien les artistes contemporains qu’un public jeune. Par ailleurs, nos artistes visuels se sont mis à aborder des thématiques plus sociales et davantage politiques liées à l’actualité, à l’identité culturelle, aux inégalités sociales ou encore à l’impact des nouvelles technologies. Tout cela les rapproche des artistes internationaux. Un autre aspect très important est la multiplication récente des espaces d’exposition sur l’ensemble du pays. Bucarest recense une cinquantaine de galeries d’art privées ; à Iaşi – où vit et travaille Felix Aftene, ndlr –, nous en avons sept ou huit. Et les musées déjà en place, tels le Musée national d’art de Roumanie, s’ouvrent de plus en plus à la peinture contemporaine. Autre nouveauté, nous disposons enfin de maisons de ventes aux enchères spécialisées dans les arts, je pense bien sûr à Artmark, à Bucarest, qui expose souvent des œuvres avant de les mettre en vente. S’ajoutent à cela des festivals qui ont souvent une section consacrée aux arts visuels. Je pense notamment à la Romanian Creative Week qui aura lieu mi-mai à Iaşi.
Diriez-vous que les Roumains sont friands de peinture contemporaine ? Et qu’en-est-il de l’éducation artistique dans les écoles ?
Ils s’y intéressent de plus en plus. Je me rappelle qu’en 2019, lors de la Nuit blanche des musées, j’ai accueilli plus de 3500 visiteurs dans mon atelier, rue Lăpuşneanu, à Iaşi. Et 90% d’entre eux étaient des jeunes. Je pense qu’il est essentiel d’encourager la collaboration entre les institutions culturelles et les communautés locales. Je me souviens d’un festival organisé à Iaşi avant la pandémie, le Festival international de l’éducation (FIEdu, ndlr), lequel incitait les artistes visuels à peindre dans la rue sous le regard des passants. Quant à l’aspect éducatif, selon moi, il est essentiel de sortir les enfants des salles de classe et de leur faire découvrir la peinture et la sculpture dans les galeries et musées. J’ai déjà exposé à Paris, à Berlin ou à Venise, et partout j’ai vu des groupes d’enfants dans les musées, parfois même des tout petits accompagnés de leur professeur.
Comment voyez-vous le rôle des nouvelles technologies dans les arts ? En quoi offrent-elles de nouvelles libertés ?
Pour ma part, en tant que peintre, je me suis servi des nouvelles technologies afin d’innover dans un domaine, la peinture, que certains considèrent comme dépassé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mon travail repose sur des interconnexions avec d’autres champs artistiques. Par exemple, j’ai collaboré avec l’écrivain Lucian Dan Teodorovici pour créer l’album « Mustaţa lui Dali şi alte culori » (La moustache de Dali et autres couleurs, ndlr), un roman peint ou plutôt un picto-roman comme nous avons décidé de l’intituler. En collaboration aussi avec l’artiste visuel Andrei Cozlac, ce projet a été présenté à Paris, à l’Institut culturel roumain, en 2022. Il y a également le festival Reframing the Classics / Classix Festival 2024 qui débute la semaine prochaine au Palais de la culture de Iaşi avec, là encore, un dialogue entre musique classique et peinture. Le musicien français Jean-Baptiste Doulcet viendra y improviser au piano à partir de sept de mes tableaux lesquels représentent les sept collines de la ville. Tout cela est très riche. Et pour revenir à votre question, je dirais que l’apport des nouvelles technologies contribue à créer un langage artistique commun. Malgré un risque évident d’uniformité, elles permettent de démocratiser les processus de création et offrent une plus grande autonomie, liberté et visibilité. Pour les artistes d’un pays comme la Roumanie, la visibilité est fondamentale.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.