Entretien réalisé le mercredi 9 novembre dans la matinée, par téléphone et en français.
Depuis quelques mois, la Roumanie fait pression pour entrer dans l’espace Schengen. Analyse avec Cristian Preda, politologue, ancien député européen et doyen de la Faculté de sciences politiques de l’université de Bucarest…
Pourquoi l’entrée de la Roumanie dans Schengen est-elle de nouveau au centre des discussions ?
Tout est parti de la décision de permettre l’accès de la Croatie à l’espace Schengen à partir de l’année prochaine. La Croatie est entrée dans l’Union européenne en 2013, soit six ans après la Roumanie et la Bulgarie. Ces dernières se sont donc dit qu’il fallait faire pression sur les États membres qui ont jusque-là bloqué leur entrée dans Schengen, afin qu’ils les acceptent en même temps que les Croates. Cela fait environ dix ans que la Roumanie a entamé les discussions pour entrer dans Schengen. Le Parlement européen et la Commission appuient notre demande, à l’inverse des Pays-Bas, principal pays réticent. Pour intégrer Schengen, il y a deux aspects principaux : la capacité de gérer les frontières extérieures de l’Union d’un point de vue technique, et le respect de l’état de droit. Sur ce dernier point, les Pays-Bas ont émis des réserves, mais c’est aussi le cas d’autres États membres qui s’affirment moins*.
* Mise à jour le mercredi 23 novembre : l’Autriche et la Suède ont exprimé des objections concernant la gestion des flux migratoires. Selon Cristian Preda, « la Roumanie ne rentrera pas dans Schengen en 2023, car il faut un vote à l’unanimité ».
Pourquoi la Croatie serait-elle acceptée alors qu’elle est entrée dans l’UE bien après la Roumanie et la Bulgarie ?
C’est là toute la difficulté du dossier. Il faut savoir que la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l’UE à la condition de mettre en place le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV, ndlr). Ce mécanisme, qui devait disparaître après quelques années, permet d’assurer le respect de l’état de droit et la lutte contre la corruption. Or, il est encore en place, car il y a toujours des problèmes concernant l’indépendance de la justice*. La Croatie, quant à elle, a dû remplir les conditions du MCV avant d’être acceptée dans l’UE. Ainsi, elle avait déjà fait le nécessaire vis-à-vis de l’état de droit pour intégrer l’espace Schengen. Accepter la Roumanie et la Bulgarie, alors qu’elles ne remplissent pas leurs promesses concernant l’état de droit, est problématique pour la cohérence du discours des États membres qui considèrent que le respect de l’état de droit est un critère important.
* La Commission européenne a annoncé mardi que la Roumanie remplissait les engagements pris dans le cadre du MCV, et recommande sa levée, trois ans après avoir émis un avis favorable pour la Bulgarie. Néanmoins, la levée du MCV n’est pas automatique. Pour Cristian Preda, « il n’est pas certain que cela fasse changer d’avis les Pays-Bas ».
Les Néerlandais s’opposeraient à l’entrée de la Roumanie dans Schengen principalement à cause du port de Constanţa qui pourrait concurrencer Rotterdam… Simple rumeur ?
Cette histoire montre comment la désinformation peut circuler jusqu’à atteindre une grande partie de la population. C’est complètement faux. L’idée a été formulée il y a quelques années par l’ancien maire de Constanţa, Radu Mazare, aujourd’hui en fuite à Madagascar après avoir été accusé de corruption. Il avait dit que les Hollandais bloquaient l’entrée dans Schengen non pas à cause de la corruption – il disait d’ailleurs que la corruption n’existait pas, lui qui était baigné dedans –, mais parce qu’ils demandaient en échange le contrôle du port de Constanţa. C’est une bêtise, Constanţa est d’ailleurs un port très modeste par rapport à Rotterdam. Ce discours a été répété tant de fois qu’il est devenu une partie de l’argumentaire politique. La force de la rumeur…
Propos recueillis par Marine Leduc.
Sur le même sujet, en complément : article de ce jeudi 24 novembre d’Europa Libera (en roumain) suite aux déclarations récentes du président Klaus Iohannis.