Entretien réalisé le vendredi 7 avril dans la soirée, au studio de RFI Roumanie à Bucarest.
Retour sur le mois de mars, celui de la Francophonie, qui a vu la visite à Bucarest et à Chișinău de Louise Mushikiwako, Secrétaire générale de la Francophonie. Éric Poppe, Représentant de l’OIF pour l’Europe centrale et orientale depuis presque trois ans, l’a accompagnée pendant son séjour…
Comment avez-vous vécu la visite de la Secrétaire générale de la Francophonie ?
La visite s’est déroulée dans le contexte du 30ème anniversaire de l’adhésion de la Roumanie à l’Organisation internationale de la Francophonie. En 1993, la Bulgarie et la Roumanie furent les deux premiers États d’Europe centrale et orientale à adhérer à l’OIF. La Secrétaire générale a été très bien accueillie par les autorités roumaines, ce fut un moment festif, avec une soirée de gala au Musée national d’art de Roumanie et, évidemment, plusieurs rencontres de haut niveau, avec le président de la Roumanie et le ministre des Affaires étrangères notamment. Ce déplacement était important dans les circonstances actuelles, pour prendre le pouls de la Roumanie en cette période difficile. Il fallait aussi apporter un message de soutien et de solidarité vis-à-vis des pays de la région, qui ont subi de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine. D’ailleurs, après Bucarest, la Secrétaire générale s’est rendue à Chișinău, en Moldavie, où elle s’est notamment entretenue avec la présidente Maia Sandu, qui a pu lui exposer la situation telle qu’elle la vivait depuis l’invasion de l’Ukraine.
On entend souvent parler de la promotion des valeurs de la Francophonie, est-elle aussi voire plus importante que la promotion de la langue française ?
L’une ne va pas sans l’autre puisqu’une langue véhicule nécessairement des valeurs. Au départ, lors de la création de l’Agence de coopération culturelle et technique, le 20 mars 1970 à Niamey au Niger, la Francophonie était surtout une institution de coopération dans le domaine de l’éducation et de la culture. Puis, elle s’est peu à peu transformée et a acquis une importance politique. Je rappelle qu’en nombre de pays membres, l’OIF est la deuxième organisation internationale après l’Organisation des Nations unies, soit 88 États membres, membres associés et observateurs*. Une organisation de cette taille ne peut pas ne pas être politique et diffuser des messages politiques. Concrètement, dans la région de l’Europe centrale et orientale, à côté de la promotion de la langue française, nos actions portent beaucoup sur le renforcement de l’État de droit, de la démocratie, et sur le soutien aux droits de l’Homme. En ce qui concerne la République de Moldavie, la présidente Maia Sandu est très demandeuse du soutien de l’OIF pour consolider l’État de droit ; je pense, par exemple, à la formation des magistrats pour la lutte contre la corruption. Le soutien aux médias est également essentiel pour nous dans la région, ainsi que la lutte contre la désinformation.
* L’OIF est entièrement financée par les contributions statutaires de ses États membres, des contributions calculées en fonction de la population et des données économiques de chaque pays, et par des contributions volontaires que les États et gouvernements membres sont libres d’ajouter à leur contribution statutaire pour soutenir des projets particuliers. La France, le Canada, la Suisse, la Fédération Wallonie-Bruxelles et le Québec sont parmi les principaux États et gouvernements contributeurs. La Roumanie est le septième contributeur statuaire et elle verse également à l’OIF des contributions volontaires, « ce qui n’est pas si courant en dehors des cinq principaux contributeurs », précise Éric Poppe.
Comment faire pour que le français reprenne la place qu’il avait en Europe orientale ?
La Secrétaire générale utilise régulièrement une expression que j’aime bien, elle dit qu’il faut « faire reculer le recul du français ». À chacun de mes déplacements en Roumanie et dans les pays voisins, j’insiste sur le fait que le français est la deuxième langue la plus apprise au monde, qu’elle est parlée sur les cinq continents, et que c’est une des deux principales langues de travail au sein des institutions européennes. Un argument de poids, il me semble, pour les États qui souhaitent adhérer à l’Union européenne. Et puis je crois qu’il est aussi nécessaire de se rendre compte que le français du 21ème siècle n’est plus seulement celui que l’on parle dans les pays d’Europe occidentale où il s’est formé à partir du latin. Il y a aujourd’hui aussi le français du Québec, celui de Côte d’Ivoire, de Haïti, ou encore de la République démocratique du Congo – un peu plus de 60% des locuteurs francophones se trouvent en Afrique, et environ 30% en Europe, ndlr. La langue française évolue grâce à cette universalité, elle n’est pas figée. Et la Francophonie porte dans ses valeurs la diversité linguistique et culturelle. Ce sont des valeurs très actuelles et très modernes.
Propos recueillis par Olivier Jacques.