Ce n’est plus une prison, mais un centre de détention. Et c’est l’une des modifications majeures que le nouveau Code pénal roumain apporte dans le domaine précis de la justice juvénile. Pour celui qui est enfermé entre ces murs, la différence est de taille, comme l’explique Jenie-Gianina Crăciun, directrice du centre pénitentiaire pour jeunes de Tichileşti, dans le département de Brăila.
Qui pourrait imaginer que cette femme élégante, soignée, parfaitement maquillée, a à sa charge plus de 300 jeunes voyous et criminels, et les quelque 200 employés qui les encadrent ? Ancienne porte-parole de la prison de haute sécurité de Galați, Jenie-Gianina Crăciun est depuis quatre ans à la tête de celle de Tichileşti, à quelques dizaines de kilomètres l’une de l’autre. C’est sa région, à laquelle cette mère de famille au regard vif est très attachée. Visiblement passionnée par son travail, elle accompagne la mue de son établissement selon la nouvelle législation mise en place le 1er février dernier.
Désormais, les crimes commis avant l’âge de 18 ans ne sont plus sanctionnés par de la prison mais par des mesures alternatives sous probation (voir encadré), ou des mesures éducatives appliquées dans des centres éducatifs (pour les moins violents), ou des centres de détention. C’est ainsi que le centre pénitentiaire pour jeunes de Tichileşti évolue, avec le défi crucial de préparer la réinsertion de ses « pensionnaires » dans la société. « Les détenus concernés peuvent demander une remise de la moitié de leur peine si leur comportement est exemplaire, s’ils le méritent, s’ils démontrent une réelle motivation, s’ils se sont investis dans les activités ou les cours qui leur ont été donnés, s’ils s’avèrent aptes à pouvoir exercer un métier. Autant vous dire que c’est motivant pour eux. Cela change complètement l’esprit de notre établissement », remarque la directrice.
Autre réforme conséquente : les détenus avaient jusqu’à présent quatre régimes différents : ouvert, semi-ouvert, fermé, et isolement. Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux : ouvert ou fermé. Ceux qui sont condamnés à moins de trois ans ont un régime ouvert : ils peuvent circuler dans l’enceinte de l’établissement « librement » ; ceux qui ont des peines allant au-delà ont un régime fermé : la porte de leur cellule reste close, et les déplacements contrôlés. Certes, le moindre écart peut faire basculer de l’un à l’autre…
Depuis 2007, il était prévu que le centre de Tichileşti soit reconstruit. Après une pause en 2010 faute de financements, de nouveaux bâtiments ont enfin été inaugurés en 2012. Pour Jenie-Gianina Crăciun, « quand on voit côte à côte les anciens locaux qui datent des années 1950 et ceux-là, rutilants, c’est une belle image, pleine de promesse, qui prouve que des choses peuvent être réalisées ; cela donne de l’espoir pour le futur. De plus, les plus récents se prêtent parfaitement à leurs nouvelles fonctions ».
« Il est fondamental pour le jeune incarcéré de ne pas être stigmatisé par le crime qu’il a commis : il a encore le reste de sa vie devant lui »
Outre les impératifs de sécurité, la priorité est en effet donnée aux programmes éducatifs. Une authentique école de huit classes y a trouvé sa place, dont le directeur et le personnel enseignant dépendent du ministère de l’Education nationale… « Grâce à ces investissements récents, je crois pouvoir dire que nous sommes même mieux équipés que certaines écoles dites « normales ». » Des formations professionnelles sont notamment dispensées : menuiserie, boulangerie, coiffure, maçonnerie, PVC, informatique, sur des périodes allant de 3 à 6 mois. « Il y a aussi bien sûr des activités psycho-sociales destinées à réduire la violence, la consommation de drogue, ainsi que des activités sportives et artistiques », ajoute la directrice.
Parmi les 350 détenus actuels de Tichileşti âgés de 14 à 27 ans, 60 sont mineurs. 222 adultes les encadrent : éducateurs, travailleur social, psychologues, personnel technique et administratif, et agents de sécurité, un pour deux détenus, ratio honorable en la matière. Les chambres sont de quatre lits, ce qui est aussi un progrès… « Les trafics en tout genre sont plus faciles à détecter que dans un dortoir de 15 ou 20 ».
L’établissement se pose en modèle par rapport aux autres du même type en Roumanie grâce, entre autres, à la personnalité de Jenie-Gianina Crăciun qui cherche à faire évoluer les choses en allant voir ailleurs ce qui fonctionne pour s’en inspirer… « En Roumanie, nous ne faisons que ce qui est autorisé, ce qui est écrit noir sur blanc ; si ça ne l’est pas, on n’ose pas. A l’étranger, c’est l’opposé : ce qui n’est pas interdit est permis. Cela laisse beaucoup de place à l’imagination et la créativité. » Suède, France, Belgique, Italie, Autriche, Norvège, Danemark, elle a visité nombre de prisons, « et j’ai vu dans chaque pays de bonnes choses à emprunter ». Elle a par exemple récemment envoyé dix-huit membres du personnel en stage en Autriche, dont des gardiens… « J’ai particulièrement à cœur de les former car ce sont eux les premiers éducateurs, ce sont eux qui passent le plus de temps avec les jeunes. »
La jeune femme constate sans se départir de son sourire qu’« il y a beaucoup de choses à faire, de choses à changer, à commencer par les mentalités. (…) Je suis frappée de voir à l’étranger le nombre de volontaires qui s’investissent dans les prisons, d’entreprises qui s’impliquent dans la réinsertion. Ce n’est pas du tout le cas ici. Or, il faut se préoccuper de l’après, la plupart de ces jeunes n’ont pas de famille, d’environnement stable, de moyens financiers qui puissent leur permettre de commencer une nouvelle vie. Il faut des structures qui puissent les aider à se loger, à travailler, pour qu’ils ne retournent pas dans leur vie d’avant ».
Pleine d’idées, de projets, de curiosité, Jenie-Gianina Crăciun mise sur l’avenir… « Avec cette nouvelle loi, on ne doit plus, par exemple, employer le terme « prisonnier » ou « détenu », mais « personne internée ». « Prisonnier » évoque d’emblée le châtiment, alors que là, il y a une référence à des mesures alternatives, éducatives, porteuses d’espoir. C’est une nouvelle habitude que nous devons prendre, et qui me paraît très importante. Il est fondamental pour le jeune incarcéré de ne pas être stigmatisé par le crime qu’il a commis : il a encore le reste de sa vie devant lui. »
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Sur la justice juvénile
En Roumanie, l’âge de la responsabilité pénale est 14 ans (13 ans en France). Selon l’administration pénitentiaire, 1,53% des détenus étaient en 2013 âgés de 14 à 18 ans, soit 512 individus. Ceux-ci étaient jusqu’alors répartis dans les quatre prisons et les deux centres de rééducation pour mineurs du pays, quelques dizaines dans des prisons pour adultes et un faible nombre en hôpital pénitentiaire. Le nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er février dirige désormais les jeunes inculpés vers des mesures éducatives sous la surveillance du service de probation, telles que des stages de formation civique, études ou formation professionnelle, travail d’intérêt général, obligation de rester à son domicile les week-ends, restrictions de déplacement, etc. Ou vers des mesures éducatives « privatives de liberté », en centres éducatifs ou en centres de détention tels que celui de Tichileşti.
Mais les acteurs de la protection de l’enfance dénoncent le manque de lois et de procédures judiciaires dédiées aux mineurs exclusivement, ainsi que les lacunes en formation spécialisée des acteurs de la justice juvénile. Il n’existe pas de brigade policière pour mineurs, et il n’y a qu’un seul tribunal pour mineurs, celui de Braşov. Des progrès sont cependant en cours, comme l’atteste l’inauguration récente de deux salles d’audition pour mineurs à Craiova et Cluj (voir le numéro 64 de Regard).
(Mai 2014).