Qu’ont en commun le recteur de l’Ecole nationale des sciences politiques et d’administration (SNSPA) de Bucarest, le directeur de Dior Roumanie, ou le procureur général de la Direction nationale anti-corruption (DNA) ? Ce sont toutes des femmes… Des femmes brillantes qui ont patiemment gravi les échelons et occupent désormais des fonctions de pouvoir généralement réservées aux hommes.
« Les femmes ont bien plus de pouvoir que les hommes, mais elles l’atteignent beaucoup moins facilement qu’eux… », lance Monica Macovei en entrant dans son bureau. L’ancienne ministre de la Justice sait de quoi elle parle. Quand on évoque la personnalité féminine la plus puissante de Roumanie, son nom est souvent cité. A la fois fois crainte et admirée pour son indépendance, cette femme de 55 ans a toujours fait de la lutte anti-corruption son cheval de bataille. Elle n’attribue son succès qu’à « beaucoup de travail et d’obstination », ce qui l’a conduite a être nommée en 2004 ministre de la Justice dans le gouvernement de Călin Popescu Tăriceanu. Cinq ans plus tard, elle était élue au Parlement européen.
Remarquablement simple, Monica Macovei reste discrète sur la sensation d’avoir du pouvoir, elle qui a beaucoup fait pour « nettoyer » la classe politique des élites corrompus. Elle reconnaît cependant avoir parfois ressenti son influence. Et raconte un épisode de sa vie politique, le sourire au coin des lèvres… « Je me rappelle qu’à l’époque, j’avais refusé d’aviser une ordonnance d’urgence, alors que tout le gouvernement me mettait la pression pour que je la signe. Le Premier ministre m’a alors demandé d’aller prendre l’air pour y réfléchir une demi-heure, ce que j’ai fait. « Alors, tu signes ?« , m’a-t-il demandé quand je suis revenue. « Non« , ai-je répondu. C’est vrai qu’il faut avoir un certain pouvoir pour dire non au Premier ministre. Pour beaucoup cela paraît difficile, mais moi je n’étais pas devenue ministre de la Justice pour faire des compromis. »
Des expériences contrastées
« Je ne me suis jamais sentie comme une femme, mais comme quelqu’un qui avait une tâche à exécuter, un travail à faire, poursuit Monica Macovei, que ce soit comme ministre ou comme euro-parlementaire, jamais on n’a essayé de me faire comprendre que j’étais différente ou moins compétente parce que j’étais une femme. »
Le vécu de l’ascension et du pouvoir pour une femme peut néanmoins s’avérer difficile. Alina Bârgăoanu, 39 ans, est récemment devenue le recteur del’Ecole nationale des sciences politiques et d’administration (SNSPA) de Bucarest, une promotion qu’elle qualifie elle-même de « spectaculaire », tant vu son âge que son genre. Seulement deux hommes plus jeunes qu’elle et trois femmes occupent la fonction de recteur dans le pays.
Son parcours de seize années au sein de cette université est classique et méritant, tout comme celui de ses confrères masculins. Pourtant, il y a un an, quand elle a pris ses fonctions, elle s’est butée à la réticence de certains. Elle raconte ses premiers pas en tant que recteur : « Une fois, j’ai eu des droits à un commentaire du type « Qu’est-ce que cette fille fait là….« . C’étaient bien mon âge et mon genre qui bloquaient, mais j’ai su les valoriser, et ils sont maintenant mes alliés. Je reconnais que la société roumaine a des disponibilités assez réduites pour accepter qu’une femme occupe un poste de direction. Il y a un an, je l’ai ressenti de manière très forte, peut-être aussi parce qu’il y avait un blocage dans ma tête dû à notre culture. »
Dans le milieu des affaires, les femmes sont plus présentes. 40% des entreprises familiales ou individuelles roumaines et beaucoup de grandes compagnies privées, telles Rompetrol, sont dirigées par des femmes. Cela pourrait même être un avantage, comme l’explique Camelia Șucu, femme d’affaires connue en Roumanie, présente dans de nombreux domaines, et notamment le design. « En tant que femme, je sens que je peux parfois surprendre les hommes. Bien sûr, la société roumaine est misogyne et dominée par les hommes, mais je n’ai aucun problème avec ça à partir du moment où pour rien au monde je ne voudrais prendre leur place… ».
Même son de cloche du côté de Dana Petcu, la directrice de Dior Roumanie, qui gère depuis 2010 une équipe de 18 employés et 700 vendeurs. Très élégante, cette belle brune de 40 ans, qui toute petite jouait déjà à la vendeuse, a été une pionnière dans le domaine des cosmétiques en Roumanie. Dans ce milieu qu’elle côtoie depuis 1992, Dana Petcu soutient en souriant qu’« au contraire, ce sont plutôt les hommes qui sont désavantagés… ».
Et la famille ?
La dévotion totale pour le travail est un trait commun à toutes ces dirigeantes. Et lorsque la maternité entre en jeu, cela peut poser problème. « Je n’ai jamais réussi à concilier ma vie familiale et professionnelle, révèle Monica Macovei, et personne ne m’a jamais reproché de faire passer mon travail avant ma famille, sauf peut-être mon fils de 21 ans… ». Lorsqu’elle a été nommée ministre de la Justice, son père l’a gratifiée d’un « très bien ma fille », alors que sa mère s’en est plaint. « C’est encore moi qui vais m’occuper de ton fils… », lui a-t-elle dit, sans que cela atteigne celle qui avait déjà fait son choix de vie.
« Dans notre société, il est très dur d’être à la fois mère et exercer un poste de direction, car bien souvent c’est à la mère qu’incombe la responsabilité de la famille, confie Alina Bârgăoanu. Je dois être responsable à la maison comme au travail. Quoi qu’il en soit, je fais passer ma responsabilité de recteur avant celle de mère, et cela au grand désespoir de ma fille de neuf ans qui bien qu’elle soit fière de moi, aimerait parfois que je m’occupe un peu plus d’elle. »
Dana Petcu, qui n’a pas encore d’enfant, regrette par ailleurs que « parfois, dans le milieu des affaires, les hommes refusent de mettre une femme à la tête d’une grande compagnie car ils ne veulent pas prendre le risque qu’elle tombe enceinte, et qu’elle arrête de travailler pendant deux ans ».
Toutes reconnaissent cependant que les mentalités changent et que les freins pour accéder au pouvoir sont moins importants qu’avant. C’est surtout en politique que des progrès restent à faire. Côté parité, la Roumanie est à la traîne avec seulement 11% de femmes parlementaires, et cinq femmes ministres sur 27 dans l’actuel gouvernement. Certes, des initiatives existent, comme celle de la député démocrate-libérale Andreea Paul qui milite pour la création d’un cadre législatif quant à l’entrée des femmes en politique. Et puis l’exemple de Laura Codruța Kövesi, aujourd’hui procureur général de la Direction nationale anti-corruption, un poste clé pour la mise à l’écart des élites corrompus, montre à lui seul que les choses changent effectivement.
Julia Beurq (mai 2014).