Le nord de la Bulgarie attire depuis une dizaine d’années des centaines d’Européens venus de l’ouest, en quête d’autre chose, d’une autre vie. Rencontres plutôt insolites au village de Palamartsa.
Situé à une heure au sud-est de Ruse, ville frontière entre la Roumanie et la Bulgarie, Palamartsa est un petit village bulgare d’environ six cent âmes. Des cultures céréalière, fruitière et de tabac le séparent de quelques kilomètres de Popovo, la principale ville du coin. Particularité de Palamartsa : sa population d’expatriés, britanniques notamment. Les premiers étrangers ont débarqué en pionniers il y a une dizaine d’années, le bouche-à-oreille et Internet ont ensuite fait le reste. Ils seraient près de sept cent dans toute la région, et une cinquantaine dans le village. Quatorze familles d’étrangers vivent ici à l’année, tandis que d’autres, Islandais, Estoniens, Français, Hollandais, y ont acheté un pied-à-terre pour les vacances.
D’après Chris, britannique installé à Palamartsa avec sa femme Claire depuis cinq ans, « les premiers arrivants ne sont pas forcément restés, car il n’est pas simple de trouver un modèle économique. Mais j’ai le sentiment que ceux qui sont venus ces dernières années vont rester », assure-t-il en donnant à manger à ses chèvres. A la maison, c’est Chris qui gère les animaux ; Claire s’occupe du potager. Il y a deux ans, ils ont ouvert une chambre d’hôtes. Le téléphone sonne, Claire s’exprime en bulgare. Chris ajoute : « Les Bulgares commencent à venir aussi. Mais il est vrai que plus de la moitié de nos clients sont britanniques, ou d’autres pays d’Europe de l’ouest ». Le concept de leur maison d’hôtes est sans doute un peu spécial pour les locaux, habitués à certains standards. Seuls trois dîners sont servis par semaine – dont un soir où ce sont les femmes du village qui cuisinent –, pour le reste, les clients sont priés de se débrouiller avec les produits de la ferme, et de les cuisiner eux-mêmes en toute indépendance. « Le but est que les gens se familiarisent avec ce type d’agriculture et se ressourcent », explique Claire.
Un couple de Roumains, la quarantaine, est de passage pour la nuit. Bogdan et Andreea viennent régulièrement en Bulgarie faire le tour des villages. Pour eux, « les toilettes écologiques, le bacon, le fromage, les oeufs et les légumes maison c’est bien, mais lorsque l’on vient de Roumanie, on s’attend plutôt à se faire servir… ». Ici, on mise davantage sur un tourisme en phase avec la nature, un style de vie plus authentique, même si le modèle économique de ce type de maison d’hôtes est encore balbutiant. Alors pour équilibrer les comptes, Chris enseigne à distance durant les mois d’hiver – lui et sa femme sont archéologues de formation.
« Les Bulgares savent maintenir leur folklore vivant, j’adore ça. Et ce n’est pas du tout un lieu matérialiste, on ne se sent pas obligé d’avoir le dernier téléphone à la mode, ça change pas mal de choses, à mon sens »
Un peu plus loin, un autre Britannique, David, 14 ans, se balade à vélo, zigzagant sur ces chemins de campagne où la végétation abonde. Son père, ses frères et soeurs sont restés en Angleterre. « Je vous accompagne au magasin du village, sinon vous n’allez pas trouver », rigole-t-il. David a débarqué à Palamartsa il y a an avec sa mère. Il suit des cours à distance, enchanté par cet autre mode de vie… « En Angleterre, on a le sentiment d’étouffer, la nature manque, et le temps y est vraiment horrible. Ici, on sent le cycle des saisons. C’est une chance d’être là. »
La coopérative, située à l’entrée du village et héritée de la période communiste, fonctionne toujours. Treize personnes y travaillent. Plus haut, un villageois est parvenu à monter une affaire, 40 000 m2 de terres dédiées à l’arboriculture fruitière. Sans pesticides ni insecticides, il parvient même à vendre ses produits bio en Europe de l’ouest. Un jeune couple d’Anglais de 26 ans récemment arrivé mise aussi sur l’agriculture, après avoir repris l’un des bars du village – « au début, en arrivant… » – qui n’a pas tellement marché. « Aujourd’hui, nous avons quatre-vingt moutons, raconte Lisa. Nous vendons la viande notamment lors de festivités, nombreuses dans la région. Là, nous allons avoir une fête le 6 mai, et la Saint-George dans la foulée. On espère que ça va marcher, on a trouvé ici ce que l’on est venu chercher. »
Sur les hauteurs du village, Mel invite à découvrir sa petite maison. Elle et son mari ont débarqué à Palamartsa en 2011. Lui est électricien, il est ces jours-ci en déplacement. « Au pays de Galles, on travaillait trop et on s’est dit qu’il fallait changer de mode de vie. Désormais, tout va beaucoup mieux, même si, ironie du sort, mon mari se déplace pas mal en Bulgarie, notamment pour la communauté anglaise. » Le couple de moins de 40 ans a acheté cette maison ainsi que les deux d’à côté il y a environ un an. « Le petit cottage à gauche serait parfait pour des locations à la saison », glisse Mel. Attirés au départ par la Turquie, ils ont finalement posé leur camping-car en Bulgarie. « C’est beaucoup moins cher, explique-t-elle, et moins peuplé aussi. Imaginez qu’il y a sept millions d’habitants en Bulgarie contre huit au pays de galles, un pays trois fois plus petit… Autre différence de taille : ici la maison est à nous, pas à la banque. » Mel et son mari ne pensent pas rentrer un jour en Grande-Bretagne. Et elle aussi a appris le bulgare… « J’ai travaillé un temps au bar de Lisa, cela m’a aidée à me familiariser avec la langue », sourit-elle.
Mais comment se passe réellement l’intégration des étrangers à Palamartsa ?… « Les Bulgares ont vraiment le sens de l’hospitalité, soutient Mel. En début d’année, ma voisine est venue me voir et m’a proposé de faire une fête tous ensemble pour le 14 février. C’était leur Saint-Triphon, et pour nous la Saint-Valentin. Les Bulgares savent maintenir leur folklore vivant, j’adore ça. Et ce n’est pas du tout un lieu matérialiste, on ne se sent pas obligé d’avoir le dernier téléphone à la mode, ça change pas mal de choses, à mon sens. » Symbole de cette union entre deux pays situés aux antipodes de l’Europe l’un de l’autre : en 2014, il y a eu deux bébés nés au village ; l’un d’eux était anglais.
« Au pays de Galles, on travaillait trop et on s’est dit qu’il fallait changer de mode de vie. Désormais, tout va beaucoup mieux, même si, ironie du sort, mon mari se déplace pas mal en Bulgarie, notamment pour la communauté anglaise »
Seul souci majeur à Palamartsa : trouver du travail, tant pour les étrangers que pour les Bulgares. Ici, il faut être inventif et plein de ressources pour s’en sortir. La connexion Internet étant heureusement performante, certains donnent des cours d’anglais à distance pour des Russes ou des Chinois. De son côté, Mel s’est lancée dans l’immobilier un peu par hasard. « Une dame m’a demandé de l’aide pour poster une annonce de vente de sa maison en anglais, et de fil en aiguille, je me suis retrouvée à faire ça pour pas mal de gens. Aujourd’hui, dans mon catalogue, j’ai vingt-cinq maisons dans le village, et soixante-dix sur toute la région. Après, il est vrai que le marché n’est pas vivace. L’an passé, j’ai vendu cinq maisons en tout, surtout à des expatriés. La plupart sont en vente à moins de 10 000 leva (environ 5 000 euros, ndlr), même si certaines avec piscine peuvent atteindre 50 000 leva. »
Personne ne semble s’enrichir à Palamartsa, loin de là, mais la venue de ces étrangers a dynamisé un village déclinant. Mel reprend : « Pour moi, c’est ça le vrai luxe. Les enfants se mélangent avec les locaux et disposent d’une liberté incroyable. La mer me manque ? En un peu plus d’une heure, je suis sur une plage déserte où on ne marche pas sur ma serviette. »
Mel embrasse ses trois chiens et part pour sa « répétition ». Le long des petits chemins de terre, les maisons en briques sont gorgées du soleil des premières chaleurs, sentiment de vacances et de quiétude. Soudain, des notes de musique percent le silence. Un autre Gallois, Tony, et ses acolytes chauffent leurs instruments en attendant Mel, préposée à la voix. Chris et son violon sont là aussi. La musique occupe une place importante au village. « Je joue aussi dans un autre groupe, affirme Chris. Nous avons d’ailleurs un concert de prévu à Targoviste pour un festival le 9 mai, « just for fun » », s’amuse-t-il. De son côté, Tony montre le terrain en face de sa maison où il a monté un petit camping pour l’été. Après avoir répété quatre morceaux, lui et Chris filent à une autre répétition. Les deux pères tranquilles retrouvent l’accordéoniste Mirko dans le bâtiment central, sur la place principale du village. Ils jouent au sous-sol et tentent de s’accorder là encore pour un autre festival. Mirko et son accordéon les initient à la musique locale. A Palamartsa, on s’amuse à fusionner les genres, en toute simplicité.
La répétition terminée, Chris retrouvera ses chèvres, ses cochons et ses poules. Les deux maisons que lui et Claire ont acquis l’une à côté de l’autre datent de 1925 ; elles appartenaient autrefois à deux frères. La chambre d’hôtes et la ferme bio d’aujourd’hui ont ainsi succédé à l’atelier et au magasin de vêtements d’avant pour le meilleur de tout un village, et d’une communauté de gens venus découvrir les joies de la vie au grand air, 300 jours de soleil par an.
Benjamin Ribout (mai 2015).