Les chiens errants ont arpenté les rues de Bucarest pendant des années. Aujourd’hui moins visibles, que sont-ils devenus ?
Eugenia Tudose connait bien les trois chenils municipaux de la capitale. Elle s’y rend plusieurs fois par semaine depuis un an et demi. « Je prends des photos et publie ensuite mes clichés sur Facebook avec un petit message pour appeler à l’adoption », détaille-t-elle. Sa page est suivie par des milliers de personnes, dont des associations étrangères. Grâce à ses petites annonces, Eugenia a déjà sauvé de nombreux chiens promis à une injection létale.
En 2013, on estimait à plus de 65 000 les chiens vivant sans maître dans les rues de Bucarest. Craints ou tolérés, haïs ou chouchoutés, ils faisaient partie du paysage urbain. Aujourd’hui, ils ne seraient plus que 3 000. Un constat soutenu par Răzvan Băncescu, responsable du département en charge des chiens errants au sein de l’Autorité municipale pour la surveillance et la protection des animaux (ASPA). « Nous avons fait en moins de deux ans ce que personne n’a réussi à faire en presque vingt-cinq ans », assure-t-il.
Quand un enfant a été tué dans un parc par plusieurs chiens en septembre 2013, la mairie a alors pris le problème à bras-le-corps. L’émotion suscitée par ce fait divers a même poussé le Parlement à voter dans les jours qui ont suivi une loi autorisant l’euthanasie des chiens sans maître capturés sur la voie publique si, dans un délai de deux semaines, aucune réclamation ou demande d’adoption n’était faite. Parallèlement, les autorités locales lancèrent un vaste projet visant à éradiquer les chiens errants.
De son côté, Răzvan Băncescu a procédé selon un plan de bataille minutieux. Face à son bureau, deux immenses cartes de la capitale divisées en secteurs, avec en rouge les zones les plus peuplées de chiens errants. « Au total, 15 équipes – dont seulement deux sont subordonnées à l’ASPA, les autres étant privées, ndlr – se sont partagé la ville. Au plus haut de l’activité, près de 200 chiens étaient capturés toutes les 24 heures », explique-t-il. Les animaux se retrouvaient alors dans l’un des trois chenils de Bucarest en attendant de se faire adopter… ou pas.
Au mois de décembre 2000, 948 morsures ont été enregistrées à Bucarest, soit plus de 30 incidents par jour. En décembre de l’année dernière, seules 89 personnes ont été mordues dans la capitale, le chiffre le plus bas de ces trente dernières années
A raison de 230 lei (environ 50 euros) par chien capturé, les associations de protection des animaux, déjà outrées par l’adoption d’une loi permettant l’euthanasie, n’ont pas manqué de dénoncer la juteuse affaire. « Nous avons reçu des témoignages de personnes qui affirment avoir vu des chiens capturés alors que leur maître se trouvait tout près, soutient Marcela Pîslă de l’association Cuțu Cuțu. D’autres selon lesquels les chiens sont parfois gardés toute une journée voire deux dans des véhicules avant d’être amenés au chenil. » Au total, près de 60 associations de protection des animaux sont enregistrées à Bucarest, la plupart dénonçant les méthodes de l’ASPA.
C’est principalement à cause de l’urbanisation forcée imposée par Nicolae Ceaușescu et la construction d’immeubles dans des zones de maisons que de nombreux Roumains ont abandonné leurs animaux de compagnie. Et les autorités ont laissé faire. A la fin des années 1990, la situation était devenue insoutenable. Au mois de décembre 2000, 948 morsures ont été enregistrées à Bucarest par l’Institut des maladies infectieuses Matei Balș, soit plus de 30 incidents par jour – en décembre de l’année dernière, seules 89 personnes ont été mordues dans la capitale, le chiffre le plus bas de ces trente dernières années. A l’époque, l’intervention musclée de la mairie, dirigée par l’ancien président Traian Băsescu, avait permis de reprendre un peu le contrôle. Mais la pression d’associations internationales de protection des animaux, notamment la fondation Brigitte Bardot, avait réussi à faire plier le Parlement, qui avait alors interdit l’euthanasie.
« La question des chiens errants n’est pas propre à Bucarest mais à toute la Roumanie », rappelle le vétérinaire Aurelian Ștefan, impliqué dans le programme de stérilisation gratuite pour les chiens mené par l’association américaine Romania Animal Rescue. Depuis 2008, 30 000 chiens ont ainsi été stérilisés sur l’ensemble du pays. « La base du problème est la multiplication non contrôlée des animaux. Capturer et tuer les chiens errants n’est qu’une solution partielle, explique-t-il. Il faut maintenant apprendre aux Roumains à stériliser leurs animaux domestiques mais aussi à ne pas les abandonner. » La plupart des grandes agglomérations disposent d’un service de stérilisation gratuit. Mais dans les petites villes et les campagnes, son coût reste trop élevé.
Ils s’expatrient
Sur 52 000 chiens capturés par l’ASPA depuis septembre 2013, environ 30 000 ont été tués et 24 000 adoptés. La majorité des adoptions s’effectue à l’étranger par le biais d’associations telles Rescue Association Hobo Dogs, de Finlande. « Nous présentons les chiens sur notre site et procédons à des entretiens avant d’envoyer les animaux en Finlande, explique la présidente de l’association, Salla Honkapää. Avant de s’intéresser à la Roumanie, beaucoup de nos membres travaillaient avec l’Estonie, où la situation des chiens errants était également préoccupante. » Une famille finlandaise qui souhaite adopter un chien de Roumanie paie près de 500 euros, tarif incluant le transport de l’animal ainsi que les démarches vétérinaire et administrative pour le faire sortir du pays. « L’année dernière, 333 chiens ont été adoptés en Finlande par notre intermédiaire, nous dépasserons nettement ce chiffre cette année », assure Salla Honkapää.
Jonas Mercier (mai 2015).