Confronté aux promesses non tenues des autorités, le milieu associatif se mobilise pour remettre sur pied un système de santé défaillant. Exemple : l’association Dăruieşte Viaţă (Donne vie) va construire le premier hôpital oncologique pour enfants financé intégralement par des dons privés. Les travaux devraient commencer fin mars et s’achever mi-2019.
Carmen Uscatu et Oana Gheorghiu, les « âmes » de l’association Dăruieşte Viaţă, n’en reviennent toujours pas : fin 2017, plus de 100 000 personnes et 1 400 sociétés ont répondu à leur appel et donné plus de quatre millions d’euros en l’espace de trois semaines seulement.
« Ce fut une campagne sans précédent, nous n’avions pas anticipé une telle réaction, confie Oana. Les gens ont ressenti le besoin de s’accrocher à un projet, précisément parce que rien ne bouge. Ils se sont dit qu’ils allaient faire eux-mêmes quelque chose pour le système de santé. »
Car effectivement, rien ne bouge. « Il y a des études de faisabilité pour construire des hôpitaux qui datent du début des années 2000, et qui n’ont rien donné, intervient Carmen. Notre projet a suscité de l’intérêt parce que beaucoup d’hôpitaux sont en très mauvais état, ils sont restés au niveau des années 1970, certains n’ont même pas de toilettes dans les salles d’attente. Sans parler des infections nosocomiales, c’est un désastre. »
Le bâtiment de six étages qui sera construit dans la cour de l’hôpital Marie Curie de Bucarest comportera un bloc opératoire, des sections de radiothérapie, de thérapie intensive et de neurochirurgie. Ce premier hôpital oncologique destiné uniquement aux enfants sera une construction « verte » non seulement en termes énergétiques, mais aussi dans le design : ses salles ressembleront à des jardins ou des forêts.
Les deux diplômées en économie, marquées par le sort d’un petit garçon atteint de leucémie qui ne pouvait pas être soigné en Roumanie, n’en sont pas à leur première initiative financée par des dons privés. « Nous avons rénové la section d’oncologie pédiatrique de l’hôpital de Brașov, la clinique d’oncologie pédiatrique de Timișoara, construit 18 chambres stériles, et deux laboratoires de diagnostic des leucémies. » La liste aurait pu être plus longue mais à plusieurs reprises, Carmen et Oana se sont heurtées au refus de directeurs d’hôpitaux, « souvent trop orgueilleux » pour accepter des dons.
Loin de se laisser décourager, les deux femmes sont devenues encore plus déterminées. « La première réponse qu’on reçoit quand on propose quelque chose à un fonctionnaire public est que c’est impossible. Mais à force d’insister, de rappeler et de demander des audiences toutes les semaines, nous arrivons à faire avancer les choses », assure Oana. « Tout cela n’est toutefois pas normal, nous devrions bénéficier du soutien des autorités », complète Carmen.
Alors pourquoi l’État ne fait-il pas plus pour améliorer les choses ? « Incompétence et refus d’assumer ses responsabilités », répondent-elles à l’unisson, ajoutant qu’une grande partie des fonds consacrés au secteur de la santé ont souvent été détournés.
Une autre ONG, l’Association de médecine pour la santé publique, elle aussi soucieuse de venir en aide aux enfants malades de cancer, forme des volontaires afin d’accompagner ceux qui se rendent à des contrôles réguliers à l’hôpital Marie Curie. Raluca Tănase, sa présidente, aime mesurer le succès de son association « en nombre d’heures passées par les bénévoles avec les patients, mais aussi en nombre de sourires » offerts ou arrachés à ces derniers. Les bénévoles, une centaine actuellement dont 80% sont des collégiens et des étudiants, jouent, dessinent, créent des objets avec les enfants, passent du temps à leur chevet, nettoient, conseillent les parents.
« Du coup, les enfants sont moins inquiets, leurs parents moins stressés et la prochaine fois, ils reviendront plus sereins, confie Raluca. L’idée est de transformer l’hôpital en un environnement familier. »
L’expérience de cette ONG, qui a commencé avec des moyens modestes – quelques crayons et des feuilles de papier –, « montre qu’avec très peu d’argent, on peut faire beaucoup de choses, assure Raluca. Les volontaires ont la chance de changer des destins, et ils le ressentent ».
Cette jeune femme, qui a elle-même été soignée d’un cancer à l’hôpital Marie Curie, a par ailleurs mis sur pied un magasin de charité dénommé « La Taica Lazăr », dont les bénéfices vont au financement de ses projets. « Il est impressionnant de voir des gens qui, sans être aisés, viennent au magasin pour offrir des objets. Nous pouvons dire que nous avons formé une communauté, et un cercle vertueux des bonnes œuvres. »
Mihaela Rodina (mars 2018).