Entretien réalisé le mardi 15 novembre dans la matinée, en français, au studio de RFI Roumanie à Bucarest.
La librairie française Kyralina, située au numéro 10 de la rue Biserica Amzei à Bucarest, vient de fêter ses dix ans avec de nombreux événements qui se sont déroulés sur trois semaines. Rencontre avec sa directrice, Elena Diaconu…
Au-delà de l’anniversaire de votre librairie récemment célébré, vous vous efforcez tout au long de l’année d’organiser des rencontres, des lectures, des ateliers… Dans quel but ?
Les événements sont importants pour la librairie. De fait, elle vit deux temps. D’abord, il y a le quotidien, avec les clients qui feuillettent, lisent, achètent, viennent récupérer leurs commandes ; puis les événements, qui sont un temps d’effervescence où tout s’anime. On transforme alors la librairie en un lieu de convivialité. Surtout, les événements nous permettent de consolider les relations avec nos clients. Ils peuvent aussi générer plus de ventes s’il y a une session de dédicaces avec un auteur, par exemple. Bien que, souvent, il faut faire venir l’auteur à Bucarest, le loger, faire de la publicité, tout cela a un coût. Je dirais que le gain de ces événements n’est pas tant financier, c’est un gain en termes de dynamique entre nous, les libraires, et notre communauté.
Quelle est cette communauté ?
Nous avons une majorité de clients roumains. Beaucoup d’entre eux sont avec nous depuis dix ans, ils étaient là à l’ouverture en novembre 2012 et ils étaient encore là au début du mois pour fêter notre anniversaire. Au sein de ce public roumain, certains sont un peu plus volatiles, je pense aux étudiants qui liront en français pour leurs études mais ne continueront pas forcément après. Nous avons aussi ces personnes qui ont la soixante, voire davantage, et qui me sont particulièrement chères. Elles ont appris le français jeunes, ne le parlent presque pas, mais le lisent à un très haut niveau. Elles auront des intérêts très pointus, très spécifiques, que ce soit en philosophie, géopolitique, histoire… Et sont avides de textes qu’elles ne vont pas trouver en roumain, ou bien elles préfèrent lire le texte original en français. Nous avons aussi des clients qui sont pleinement dans la vie active. La plupart ont eu à un moment donné un lien avec un pays francophone, ils veulent continuer à lire en français, notamment de la littérature contemporaine. La bande dessinée pour adultes est également prisée, étant peu présente au sein des maisons d’édition roumaines. Par ailleurs, il y a notre espace jeunesse qui est très fourni et accueille de nombreux enfants, des bébés jusqu’aux ados. Sans oublier, bien sûr, nos clients français, expatriés pour quelques années ou établis en Roumanie, qui sont eux bien au fait des nouveautés littéraires. Ils sont beaucoup plus indépendants dans leurs choix de lectures, sauf pour ce qui est de la littérature roumaine, que nous les aidons à découvrir.
Quels rapports avez-vous avec les autres institutions françaises de Bucarest ?
Nous sommes partenaires avec l’Institut français de Roumanie depuis bientôt huit ans. Nous travaillons main dans la main pour les venues d’auteurs en Roumanie, pour les deux salons du livre de Bucarest, Bookfest et Gaudeamus, et aussi pour le choix roumain du prix Goncourt. Nous collaborons également très bien avec le Lycée français qui, depuis plusieurs années, se fournit chez nous pour leurs deux médiathèques. En plus, depuis deux ans, ils ont aussi commandé une partie des manuels scolaires à la librairie. Il s’agit de commandes conséquentes qui nous apportent une stabilité financière précieuse pour le reste de l’année. La présence de ces deux institutions à Bucarest, aux côtés de l’AUF et de l’OIF, fait que le public francophone circule, de chez eux vers chez nous et inversement. C’est un écosystème sain, qu’il faut toutefois continuer à entretenir. Pour revenir à Kyralina, je voudrais ajouter que tout notre stock est en français. Ce contenu culturel n’est pas accessible ailleurs dans le pays, il s’agit d’une ouverture sur un autre monde, le monde francophone. Certes, on peut commander sur Internet, mais nous croyons à un autre modèle ; un espace physique chaleureux, qui vous accueille en plein centre de Bucarest. Il est aussi possible de commander un livre via notre librairie, et de venir le récupérer chez nous afin de profiter de nos libraires qui sont là pour conseiller, orienter. Et, parfois, diriger le lecteur vers des voix auxquelles il ne se sera pas naturellement tourné, vers des textes qu’il ne connaît pas. Lui ouvrir des portes de sensibilité, d’amitié, d’humanité. C’est aussi un peu ça la littérature.
Propos recueillis par Olivier Jacques.