Introduit dès la chute du régime communiste comme matière optionnelle, l’enseignement de la religion n’a jamais été remis en question par les parents d’élèves. Ces dernières années, des associations tirent pourtant la sonnette d’alarme et critiquent l’immixtion de l’Eglise orthodoxe dans la politique éducative de l’Etat.
Il a toujours été clair pour Cristina Dumitru (son nom a été changé) que son fils ne participerait pas aux heures de religion. Dès la rentrée au CP de son garçon, cette jeune mère a fait savoir aux enseignants quel était son choix. Car si la religion est une matière optionnelle, une demande écrite des parents est nécessaire pour ôter son enfant de ce cours. « La démarche n’est pas si simple car elle est très rare, et il a fallu remonter jusqu’à la directrice qui, heureusement, a été compréhensive », se souvient-elle. Son fils, qui a aujourd’hui huit ans et vient de terminer le CE1, est encore le seul de sa classe à être dispensé de religion.
Mais ces petits camarades n’ont pas manqué de lui faire payer cette « différence » en début d’année. Lors d’une discussion sur la religion en cours de français, il a été raillé et traité de « païen ». Il est finalement sorti de la salle de classe, blessé par l’acharnement de ses camarades, et l’attitude passive de la professeur. « C’est un abus, du harcèlement, une sorte de mise au coin inacceptable dans une école publique, s’emporte Cristina Dumitru. Beaucoup de parents athées laissent leurs enfants au cours de religion seulement pour ne pas leur faire supporter ce genre de situation, c’est grave. »
La religion comme matière optionnelle dans les classes de primaire, de collège et de lycée, a été introduite en 1990. Selon la loi de l’Education, « le droit constitutionnel de participer à l’heure de religion doit être assuré aux élèves appartenant aux cultes reconnus par l’Etat, indifféremment de leur nombre et conformément à leur propre confession ». En pratique, le seul enseignement de la religion que l’on trouve dans la majorité des écoles est celui des orthodoxes, qui représentent plus de 85% de la population. « En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un cours d’histoire des religions mais d’une catéchèse », estime le président de l’association laïque-humaniste de Roumanie (ASUR), Toma Pătrașcu.
De son côté, le théologien Mihail Neamţu pondère, et souligne que « du moment que la grande majorité des parents roumains, qui financent indirectement l’école publique, souhaitent une éducation religieuse pour leurs enfants, il est normal que l’Etat la leur mette à disposition. Même si la qualité de l’enseignement de cette matière (la tradition orthodoxe, ndlr) reste parfois discutable, il est nécessaire car c’est l’une des nombreuses voix qui caractérisent la pluralité de notre société et sa tradition chrétienne ».
La loi permet à chaque culte d’élaborer son programme, qui doit ensuite être validé par le ministère de l’Education. Selon un protocole récemment signé entre l’Eglise orthodoxe et le gouvernement, les prêtres qui enseignent cette matière doivent avoir au minimum une licence en théologie ainsi que la bénédiction du Patriarcat. Si cette dernière leur est retirée, ils perdent automatiquement le droit d’enseigner, même s’ils ont le statut de fonctionnaire payé par l’Etat. « Un autre problème est celui des manuels utilisés, ajoute M. Pătrașcu. Certains présentent des images explicites représentatives de l’enfer, ou du sort réservé à ceux qui vont à l’encontre de la religion. La préparation pédagogique des prêtres enseignants est également douteuse. Certains que nous avons suivis propagent des idées extrémistes… »
Selon un sondage paru en 2013, plus de 86% des Roumains sont en faveur de l’enseignement de la religion à l’école, et ce dès le primaire. Cristina Dumitru, elle, n’est pas de cet avis, et entend bien faire respecter son choix.
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Les icônes en bonne place
Dans la grande majorité des salles de classe de Roumanie, une icône figure au-dessus du tableau noir. Rien dans la loi oblige à cette pratique, mais rien ne l’en empêche non plus. A la suite d’une plainte d’un professeur, le Conseil national pour la lutte contre la discrimination (CNCD) a contraint en 2006 le ministère de l’Education à faire respecter le caractère laïque de l’école publique en interdisant la présence des icônes. Face à la pression de l’Eglise et de certaines associations pro-orthodoxes, le gouvernement a saisi la justice, et annulé cette décision. Deux ans plus tard, la Haute cour de justice a finalement estimé que la présence d’icônes dans les salles de classe était légale. « L’école a toujours été un lieu utilisé pour le culte, qu’il soit personnel ou religieux. Les icônes ont remplacé le portrait de Nicolae Ceaușescu, qui avait lui-même remplacé celui de Gheorghe Gheorghiu-Dej. Avant l’arrivée des communistes, c’était celui du roi qui dominait la salle de classe », conclut Toma Pătrașcu.
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Quasiment autant d’églises que d’écoles
Il y aurait plus de 18 500 églises en Roumanie, tous cultes confondus, à peine moins que les 21 000 écoles primaires, collèges et lycées recensés dans le pays. Selon des estimations effectuées par un quotidien roumain l’année dernière, plus de 2 000 églises orthodoxes ont été construites depuis la chute du régime communiste, en 1989, soit une moyenne de 90 par an… cinq fois moins que le nombre d’écoles nouvelles. 80% des fonds nécessaires à la construction des lieux de culte orthodoxes auraient été assurés par les fidèles, assure le Patriarcat, et seulement 20% par l’Etat.
Jonas Mercier (juillet 2014).