Entretien réalisé le lundi 20 janvier en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Dans cet échange, la psychologue Diana Vasiliu évoque les ressorts psychologiques susceptibles de peser sur les options électorales des Roumains…
Quels traumatismes du passé influencent encore les électeurs en Roumanie ?
Je pense que nous en sommes toujours à digérer le traumatisme collectif du communisme. Il a marqué plusieurs générations de Roumains ; à la fois celles qui ont vécu sous le communisme, mais aussi celles nées après la révolution, pendant la période de transition. D’un point de vue psychologique, les générations qui ont eu la malchance de passer une grande partie de leur vie sous le communisme sont évidemment les plus touchées. L’impact du régime est toujours bien visible. Leur mentalité est celle de personnes habituées à ce que quelqu’un d’autre subvienne à leurs besoins. Dans leur esprit, il n’y a pas de compétition qui vaille, ni de méritocratie ; une instance supérieure détient la vérité. Comme dans la religion. Par ailleurs, il y a un autre aspect auquel les anciennes sociétés communistes sont toujours confrontées : la destruction de la notion de communauté. Sous le régime communiste, la délation était courante, ce qui a généré un fort sentiment de méfiance à l’égard de l’autre, une forme de chacun pour soi. Or, ce sont les liens interpersonnels qui constituent la base des sociétés, c’est même ce qui permet à celles-ci de s’épanouir. Chez nous, les gens ont intégré le fait de se juger avec méfiance, et de rechercher d’abord l’intérêt personnel dans les relations avec les autres. Cette mentalité se reflète dans la rhétorique électorale. Beaucoup de Roumains restent attirés par le candidat qui donnera le plus, qui augmentera les salaires, les retraites, etc. Ce type de ressort électoral, utilisé à l’extrême par certains politiques, n’encourage certainement pas la pensée communautaire. Au contraire.
Qu’en est-il des frustrations actuelles ?
Je dirais qu’elles sont notamment liées aux années de transition qui ont été particulièrement traumatisantes pour les Roumains. Tout l’ordre établi a été renversé. Je crois que beaucoup de traumatismes vécus après le communisme peuvent se retrouver aujourd’hui dans la radicalisation de cette population qui a énormément souffert après 1989. Une génération de sacrifiés qui a dû faire face à tout ce qu’il s’est passé après la chute du communisme, et qui se laisse aujourd’hui facilement séduire par les discours de ceux qui semblent enfin vouloir lui donner la parole. Je le mentionnais précédemment, la société roumaine actuelle souffre de plusieurs fossés générationnels. Par ailleurs, il y a un autre type de cassure qui s’est récemment mis en place. Elle concerne celles et ceux qui ont surtout vécu sous l’ère analogique et subissent l’avènement de l’ère numérique. Ce qui n’est certes pas propre à la Roumanie. Nous attendons de nos parents et de nos grands-parents qu’ils comprennent les subtilités des réseaux sociaux. Selon moi, c’est absurde. Plus généralement, je dirais que ce qui frustre le plus la population actuelle dans son ensemble, c’est le fait d’éprouver des difficultés à suivre le rythme effréné des changements sociétaux. N’oubliez pas que sous le communisme, les Roumains ont été éduqués à voir la vie en noir et blanc, dans une réalité binaire. Or, bien entendu, tout n’est que nuances, que ce soit au travail, à l’école, dans la vie sociale ou culturelle. La vitesse des changements de notre époque perturbe particulièrement les Roumains ; leur psychisme a besoin de temps pour digérer la nouveauté. Au risque de fatiguer et de faire ressortir toutes sortes de frustrations refoulées.
La religion tient une place importante en Roumanie. Comment cela se traduit-il en termes de choix politiques ?
Le fait de cultiver une forme de spiritualité dans le but de nourrir son âme est un mécanisme dont les effets sont bénéfiques et importants. Cependant, lorsque des individus choisissent de s’abandonner, pour ainsi dire, à une institution religieuse, ils ont tendance à déléguer la responsabilité de leurs actes. Ainsi, dans les communautés fortement marquées par un courant religieux, on observe une tendance à ce que ce soit l’autorité supérieure qui prenne les décisions. Et lorsque nous confions à une autorité supérieure la responsabilité de nos actes, nous le faisons à la fois pour les bonnes et les mauvaises raisons. Au final, c’est comme si l’individu ne comptait pas, et, à partir de là, nous sommes en droit de nous poser la question du rôle de chacun. Encore une fois, cette tendance à attendre que quelqu’un d’autre nous dise comment agir se retrouve toujours assez largement dans le fonctionnement de notre société.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu (20/01/25).