Entretien réalisé le dimanche 19 janvier en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
Maître de conférences en économie à l’université de Bucarest, Christian Năsulea aborde les défis que représente un budget national qui s’annonce austère…
Comment évaluez-vous ce qui ressort de ce budget 2025 dans un contexte d’objectif de réduction du déficit ?
D’après les dernières déclarations, la situation pourrait être meilleure que l’année dernière. L’objectif déclaré est de parvenir à un déficit budgétaire de 7 % – contre 9% en 2024, ndlr –, même s’il aurait été plus prudent, à mon sens, d’être encore plus ambitieux plutôt que de se limiter au seuil demandé par les partenaires européens. Le gouvernement a l’intention de couvrir les dépenses courantes avec les recettes qu’il espère obtenir durant l’année ; en d’autres mots, tous les investissements seront réalisés via l’emprunt. Cela devrait se traduire par une inflation très élevée. Or, celle-ci a beaucoup augmenté en Roumanie ; ces derniers mois, elle fut l’une des plus élevées parmi les pays européens qui en ont également souffert. Mais, contrairement à d’autres États de l’UE qui ont réussi à revenir à de meilleurs taux, et qui ont respecté l’objectif de déficit, nos politiciens semblent surtout espérer que cette augmentation des prix rapporte plus d’argent dans les caisses de l’État. D’un certain côté, cela se tient ; les recettes fiscales, du moins nominalement, sont plus élevées en raison de l’augmentation des prix. Ceci étant, cette vision est aussi partiellement erronée puisqu’elle s’accompagne parallèlement d’une augmentation des coûts. En d’autres termes, tout ce dont a besoin l’État pour fonctionner va également devenir plus cher, et pas seulement les salaires. De fait, les retraites ont aussi dû être augmentées, cela afin d’arriver à un certain équilibre vis-à-vis du coût de la vie.
La numérisation des services de l’Agence nationale d’administration fiscale (Anaf, ndlr) pourra-t-elle favoriser une meilleure collecte des impôts ?
Il y a deux questions importantes relatives au point que vous soulevez. Le système de collecte devrait effectivement mieux fonctionner, notamment via la numérisation. Mais les imperfections récurrentes de l’administration s’expliquent surtout par des erreurs d’appréciation. Prenez l’argent que l’État roumain considère comme perdu pour ce qui est de la perception de la TVA. En réalité, dans certains cas, ces sommes ne sont que théoriques, elles n’existent pas. Par conséquent, il s’agit d’un argent qui ne sera jamais prélevé. D’un autre côté, il est vrai que tout ce qui devrait être collecté ne l’est pas forcément, c’est indéniable. Quand on pense aux mesures d’amnistie fiscale prononcées à la fin de l’année dernière, il est évident que certains contribuables ont cru qu’ils étaient tout simplement exemptés d’impôts. Sans que cela ne les excuse, l’information n’a pas été correctement diffusée auprès des citoyens. Mais quoi qu’il en soit, au-delà des problèmes inhérents au système, il est clair que certains contribuables ne jouent pas le jeu et évitent, avec habilité, de payer ce qu’ils doivent à l’État. Je pense notamment au secteur des importations ou à des domaines comme l’exploitation des ressources naturelles, entre autres. Des sommes importantes ne sont pas collectées, un argent qui pourrait modifier les paramètres macroéconomiques avec lesquels l’État roumain doit manœuvrer.
Plus largement, quelle analyse portez-vous sur l’économie roumaine à long terme ?
Je suis optimiste quant à la capacité du peuple roumain, travailleur et préoccupé par son avenir, à trouver des solutions afin de parvenir à un niveau de prospérité aussi élevé que possible. Au-delà, ce sont les décisions de nos politiques qui vont permettre à l’État de faire fructifier cette prospérité. Or, il semblerait que cet État soit davantage préoccupé par capter les ressources de ses citoyens dans le but de résoudre ses propres problèmes plutôt que par le sort même de la population. Dans un tel contexte, malheureusement, il y a de fortes chances que l’État roumain ne parvienne pas à collecter les taxes comme il le faudrait. Car même s’il y a de la croissance, rien ne dit que les autorités seront en mesure de persuader les citoyens de payer des impôts de manière à ce que nous puissions véritablement progresser. Sans réformes concrètes démontrant aux Roumains que l’État a compris la nécessité de réformer mais aussi de réduire les dépenses inefficaces, je pense que de plus en plus de contribuables trouveront des subterfuges pour payer leurs impôts ailleurs. Par exemple, en travaillant via des sociétés enregistrées dans d’autres pays de l’UE. De fait, et en guise de conclusion, je rappellerais que nous sommes confrontés à une concurrence fiscale dans laquelle les États rivalisent entre eux afin d’attirer le plus de contribuables possible.
Propos recueillis par Carmen Constantin (19/01/25).