Dávid Vig, directeur d’Amnesty International Hongrie, se penche sur les jeux politiques derrière la nouvelle loi anti-LGBT adoptée par le parlement hongrois…
Comment expliquez-vous qu’une loi anti-LGBT ait été récemment votée par le parlement hongrois ?
Ces dernières années, la majorité au pouvoir en Hongrie – représentée par le parti Fidesz du Premier ministre Viktor Orbán, ndlr – a continuellement mené une campagne contre la communauté LGBT*. En 2020, elle avait déjà approuvé une législation homophobe restreignant d’abord les droits des personnes transgenres, puis interdisant l’adoption pour les couples monoparentaux ou homosexuels. Tout un panel de lois stigmatise désormais la communauté LGBT. Il ne s’agit donc plus seulement de discours, mais d’une action qui se matérialise dans une législation réelle limitant les droits de ces personnes, et cela à l’initiative du parti au pouvoir qui est de nature homophobe. Dans ce contexte, la nouvelle loi a été adoptée au parlement sans aucun débat ni consultation. De fait, au départ, la proposition de loi n’a pas été rendue publique du tout. Elle a été soumise au parlement un jeudi, et le vote final a eu lieu le mardi suivant – le 15 juin, ndlr. Il y avait donc très peu de temps pour en discuter au parlement ou dans l’espace public. L’une des dispositions les plus problématiques de cette loi est de lier intentionnellement la pédophilie à l’homosexualité. D’un côté, elle prétend prévenir la maltraitance des enfants ; de l’autre, elle impose des dispositions qui restreignent les contenus représentant ou « propageant », selon cette loi, l’homosexualité dans les médias et les milieux éducatifs. Évidemment, la pédophilie n’a rien à voir avec l’identité LGBT. Il s’agit d’une vision du monde très homophobe qui cultive les stéréotypes**.
* Sigles désignant les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles.
** La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré mercredi que la nouvelle loi hongroise contre la communauté LGBT était « une honte ». De leur côté, plusieurs pays membres demandent des sanctions financières.
La Hongrie de Viktor Orbán semble se rapprocher de plus en plus de la Russie de Vladimir Poutine en prenant des mesures toujours plus liberticides…
Ce que nous vivons ici est effectivement un copier-coller de la loi très anti-LGBT appliquée en Russie. Les dispositions sont similaires, elles ciblent la société civile avec une accentuation des mesures répressives depuis 2017-2018. Je pense qu’il est très dangereux qu’un État membre de l’Union européenne copie des lois de Russie qui vont à l’encontre des droits de l’homme. L’une des conséquences directes est que la nouvelle législation restreindra aussi les programmes d’éducation aux droits de l’homme et à l’éducation sexuelle dans les écoles. Par ailleurs, si le gouvernement poursuit la mise en œuvre de ce type de législation, il est tout à fait possible que l’action de diverses ONG soit stoppée. Les enfants se verront alors refuser des informations vitales pour leur développement dans les écoles. Je m’attends également à ce que les chaînes de télévision et les radios ne puissent plus diffuser certains films ou publicités avant 22 heures. La loi utilise des termes juridiques très vagues, il reste donc à voir ce que cela signifiera dans la pratique. Quoi qu’il en soit, à terme je m’attends à une augmentation des abus homophobes.
La radicalisation est-elle un signe d’affaiblissement du régime d’Orbán ?
Je ne suis pas analyste politique, mais ce que nous avons vu dans d’autres pays, et plus récemment en Pologne, est que la communauté LGBT est utilisée pour générer la peur, pour mobiliser l’électorat le plus traditionnel et le plus conservateur. Le calcul politique est similaire en Hongrie.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À voir, le dernier documentaire d’Arte sur la Hongrie concernant le traumatisme du Traité de Trianon : https://www.arte.tv/fr/videos/085421-000-A/le-traite-de-trianon-un-traumatisme-hongrois/