Entretien réalisé le jeudi 27 février dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Dan Trifu est vice-président de la Fondation Eco-Civica qui se donne pour mission de protéger la capitale roumaine face aux abus des promoteurs immobiliers. Il fait le point sur les principales évolutions après un premier échange il y a trois ans…
Comment la situation a-t-elle évolué depuis début 2022 ? Les Plans urbanistiques par arrondissement (PUZ, ndlr) sont-ils toujours gelés ?
La situation s’est améliorée. Les plans urbanistiques, toujours à l’arrêt, avaient un impact extrêmement négatif sur la ville. Concrètement, avant que les PUZ ne soient bloqués, la construction chaotique à l’œuvre pendant des années a eu des conséquences particulièrement graves non seulement d’un point de vue environnemental mais aussi sur la santé des gens. D’ailleurs, plusieurs procès que nous espérons remporter sont toujours en cours. Leur conclusion en notre faveur permettrait de stopper divers projets de « développement » qui défigureraient certaines zones de Bucarest, avec d’importantes pertes en termes de terrains, ainsi que des destructions de parcs et d’espaces verts. Beaucoup de ces PUZ incluent des irrégularités et des faux documents permettant de contourner la loi. Je me souviens de l’un d’eux qui répertoriait les futurs espaces verts à aménager dans un arrondissement ; en fait, il s’agissait d’un projet virtuel sans rapport avec la surface réelle d’espaces verts par habitant. Dans de nombreux cas, les promoteurs se contentent d’assurer que l’espace vert détruit par les travaux de construction sera remplacé par un autre espace vert soi-disant aménagé plus tard. C’est donc une bonne chose pour Bucarest que la mairie générale ait mis un terme à ces pratiques qui vouaient plusieurs centaines d’hectares de verdure à la destruction. Certaines affaires ont déjà été jugées, d’autres sont en attente de jugement.
Quels sont les quartiers où les abus continuent ?
Il y a encore des soucis notamment dans les arrondissements 3 et 4 où, avec l’accord des maires, des complexes impressionnants ont été construits du jour au lendemain. Mais aussi dans le secteur 2 où des dizaines d’autorisations ont été délivrées quand la suspension du plan d’urbanisme était encore jugée au tribunal – aujourd’hui, la suspension est définitive, ndlr. La périphérie de Bucarest est particulièrement garnie en immenses complexes résidentiels comprenant des rues sans aucune base juridique, et avec la mise en place d’utilités publiques sans un calcul correct de leurs dimensions. Or, la construction de tels complexes en dehors de la ville, sans école, sans cabinet médical, sans magasins, sans gare routière ou ferroviaire, ne fait que surcharger le trafic routier. Quant aux espaces verts, ils sont tout simplement absents. Même les habitations communistes étaient mieux loties en la matière. Comment est-il possible d’autoriser le développement de tels lotissements pour 10 000 habitants sans être en mesure de fournir les infrastructures adjacentes nécessaires ? Seul le prix peut décider les gens à un tel achat. Sauf que, pour la même somme, vous avez un appartement dans un immeuble des anciens quartiers communistes du centre, avec des transports publics et des espaces verts.
Le secteur de la construction résidentielle prend-il davantage conscience de la nécessité de changer d’attitude ?
De façon générale, la réalité est que les promoteurs immobiliers sont souvent proches des maires d’arrondissement. Du coup, il ne sert à rien que la mairie générale ne délivre plus d’autorisations si certains maires d’arrondissement continuent de le faire. Par ailleurs, nous sommes inquiets de l’évolution du nouveau projet de loi sur le code de l’urbanisme et de la construction. Je crains que les investisseurs immobiliers aient de l’influence au Parlement et qu’ils parviennent à obtenir l’autorisation de construction sur tout ce qui est terrain vert rétrocédé. En plus de cela, comme le montrent les amendements proposés, il existe un risque de voir les PUZ validés par les mairies d’arrondissement, et non plus par la mairie générale. Ce serait désastreux ; il y aurait alors six types d’urbanisations différentes, chacun n’en ferait qu’à sa tête. En dépit du référendum de l’année dernière*, nous pourrions nous retrouver comme en Turquie, avec des immeubles qui s’écroulent. Nous suivons actuellement 45 procès, et il ne se passe pas un jour sans que des citoyens nous appellent pour nous demander de l’aide. Nous organisons aussi des manifestations, mais peu de gens y participent. La société civile doit s’engager davantage, car c’est aussi à cause de cette apathie que les abus se poursuivent.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu (27/02/25).
* Lors de ce référendum lancé à l’automne dernier par le maire Nicușor Dan, 66% des participants – sur plus de 40% de Bucarestois – ont approuvé que la mairie générale continue d’être la seule habilitée à émettre les autorisations de construction, ndlr.
Note :
Notre premier entretien avec Dan Trifu (« Regard, la lettre » du samedi 19 février 2022) : https://regard.ro/dan-trifu/