Entretien réalisé le lundi 11 septembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
En 2022, la population résidente en Roumanie a augmenté pour la première fois depuis trente ans, grâce notamment à l’arrivée de réfugiés ukrainiens mais aussi de travailleurs asiatiques. Analyse avec Dan Jurcan, sociologue et directeur de l’Institut roumain d’évaluation et de stratégie (IRES)…
Comment percevez-vous l’augmentation de la population en Roumanie en 2022 ?
Il s’agit d’abord d’une bonne nouvelle d’un point de vue démographique ; depuis trente ans, la population ne faisait que diminuer. La Roumanie perdait un million d’habitants tous les dix ans. De fait, 4 à 5 millions de Roumains sont partis vivre à l’étranger. Mais les perspectives restent sombres, la population vieillit étant donné que le nombre de décès dépasse celui des naissances*. Et la génération du décret de 1966, quand l’avortement a été interdit (jusqu’en 1989, ndlr), n’est plus toute jeune. Elle commence à partir à la retraite, il faudra donc une population active forte pour la soutenir. Face à ce contexte, l’augmentation démographique récente demeure minime, avec 9000 personnes de plus que l’année précédente, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS, ndlr) publiés en août dernier. Néanmoins, c’est un signe positif, et c’est aussi la première fois que les immigrants dépassent les émigrants, de 85 000 personnes. Parmi ces immigrants, il y a des réfugiés ukrainiens mais aussi une nouvelle main-d’œuvre, principalement venue d’Asie . On voit que la Roumanie devient attractive, et cela va amener une série de bénéfices. Le plus grand drame pour un pays est quand sa population diminue. Là, la Roumanie arrive à un point de divergence dans son évolution démographique, on peut s’en réjouir.
* En 2022, il y a eu 171 000 naissances et 272 000 décès en Roumanie. Source : INS.
Comment la population roumaine voit-elle l’arrivée de ces immigrants ?
Pour le moment, elle est plutôt tolérante et comprend que la présence de ces travailleurs est positive, qu’ils paient leurs impôts et apportent leur part dans la société. Toutefois, sur le long terme, un point de rupture n’est pas à écarter, les Roumains pourraient se sentir submergés, des tensions sociales pourraient apparaître ainsi que des mouvements xénophobes. Mais ces problèmes peuvent être évités. Certains de ces travailleurs voudront amener leur famille et s’installer définitivement. Il faut que l’État roumain pense stratégiquement et se prépare afin de prévenir ces tensions sociales. Il faut aussi s’assurer que ces nouveaux arrivants aient accès à l’assistance sociale, au système éducatif, de santé, et à toutes sortes de services qui faciliteront leur intégration.
Aujourd’hui, l’État roumain est-il prêt ?
Non, malheureusement. L’État roumain ne travaille pas de manière proactive, mais réactive. Il va résoudre le problème quand celui-ci apparaîtra, sans vraiment l’anticiper. De fait, comment pourrait-il trouver des solutions pour les immigrants alors qu’il ne les a pas trouvées pour les Roumains eux-mêmes ? Ici, les gens ne sont pas partis seulement à cause des bas salaires, mais surtout à cause de la qualité de vie de façon générale, d’un système de santé toujours dysfonctionnel, et d’un système éducatif encore ancré dans le passé. Pour beaucoup de jeunes Roumains, la possibilité de rêver et d’avoir des perspectives dans ce pays reste très mince. Espérons que cela changera dans un avenir proche. Certes, la Roumanie change, et elle change de manière positive, mais peut-être pas assez rapidement pour eux.
Propos recueillis par Marine Leduc.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Ștefan Leonescu, conseiller juridique à Jesuit Refugee Service, qui s’occupe des travailleurs venus d’Asie (« Regard, la lettre » du 16/04/2022) : https://regard.ro/stefan-leonescu-2/