Entretien réalisé dans la matinée du jeudi 27 janvier à la clinique privée Albion (Bucarest), en roumain.
Cristina Bloţ est endocrinologue, spécialisée en diabétologie, nutrition et maladies métaboliques. Après avoir fait une partie de ses études puis exercé aux États-Unis pendant dix ans, elle est rentrée en Roumanie en 2018…
Pourquoi être revenue dans votre pays d’origine après votre expérience américaine ?
Outre ce lien profond qui me lie à mon pays d’origine, il y avait également l’envie de contribuer à un changement en ce qui concerne la pratique de la médecine. La science est identique des deux côtés de l’Atlantique, bien entendu, mais la vision et la manière d’exercer sont complètement différentes. J’ai aussi le sentiment qu’ici, n’importe qui peut devenir médecin, les études ne sont pas assez exigeantes. Et si notre système de santé est en apparence plus généreux que le système américain, les bénéfices sont en réalité très faibles ; au final, ceux qui le peuvent finissent toujours par aller dans le privé. À cause des queues interminables mais aussi de la qualité du service. Il s’agit d’un système « pour tous », mais seulement sur le papier, car dans les faits les Roumains dépensent beaucoup pour leur santé.
Le système et les praticiens ne feraient pas preuve de professionnalisme ?
Ce que je vois surtout, c’est qu’ici le médecin est roi. Aux États-Unis, nous avions en permanence des cours de perfectionnement en lien avec ce que doit être un comportement professionnel. Cela allait jusqu’à savoir comment se comporter avec des gens d’une autre culture ou d’autres pays afin de comprendre leurs habitudes et surtout de ne pas les froisser. Même chose pour l’orientation sexuelle et l’identité de genre pour, là encore, ne pas discriminer le patient. Nous apprenions ainsi à nous adresser à différents types de personnes, ou à dissiper les conflits. Tout peut s’apprendre, moi-même j’ai appris ces choses. En Roumanie, les institutions qui préparent nos médecins sont loin de faire tout ça. Le système est dépassé dans son appréhension du métier, et cela ne concerne pas que les salaires. Or, personne n’a intérêt à ce que cela change, à se voir évalué, à ce que soient mis en place des standards ou même à ce que soit discuté ce qui ne va pas. Qui accepterait d’être pénalisé en cas d’erreur ou à cause d’un mauvais comportement à l’égard d’un patient ? Dans certains cas, j’en arrive presque à supplier un confrère de consulter un malade ; selon moi, c’est inadmissible. Tout comme le déplacement permanent des patients, traînés d’un lit à un autre, de services en services. Aux États-Unis, ce sont les médecins qui se déplacent et non l’inverse.
En parlant d’orientation sexuelle des patients, vous travaillez beaucoup avec la communauté LGBT…
J’ai appris à travailler avec ces personnes aux États-Unis, et j’ai réalisé que je pouvais offrir des services adaptés à leurs besoins ici aussi. J’ai aujourd’hui une centaine de personnes LGBT parmi ma clientèle. Je ne suis pas sociologue, mais mon sentiment est que la société roumaine est pleine de préjugés. La prise en charge de personnes LGBT n’est jamais mentionnée dans les études de médecine. Cette méconnaissance totale fait que la plupart des médecins préfèrent éviter ce public. Or, selon moi, notre métier impose de nous tenir au courant et d’être ouvert. Afin notamment de fournir des services qui vont au-delà de nos convictions personnelles. Sans préjugés. Selon moi, c’est ça le professionnalisme, il faut savoir expliquer les choses avec tout type de patients. Nos médecins manquent de tact et de sensibilité. Vous n’interrogez pas un patient transsexuel de la même façon qu’un patient lambda, surtout s’il s’agit de sa vie sexuelle. Il faut être empathique. Ces personnes sont plus anxieuses que la moyenne ; vous ne pouvez pas simplement leur dire « déshabillez-vous, je vais vous examiner ». Ou, pire, vous permettre de faire des remarques dérangeantes… Nos professionnels manquent de filtres. Après, je vois aussi que certains d’entre eux veulent apprendre de nouvelles choses et font preuve d’ouverture. C’est en train de changer, pas très vite, mais ça bouge.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.