Entretien réalisé le mercredi 23 novembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Après plusieurs tentatives malheureuses, la réforme des institutions judiciaires est entrée en vigueur la semaine dernière. Cezara Grama, experte au sein du groupe de réflexion Expert Forum, revient sur le processus opaque d’élaboration de cette réforme, et sur les dangers qu’elle représente…
Quelle est l’origine de la réforme de la justice et pourquoi a-t-elle autant tardé à se mettre en place ?
Les méandres de la vie politique roumaine sont une partie de la réponse à votre question. Ces dernières années, les instances internationales compétentes ont demandé à la Roumanie de réformer son système judiciaire et d’optimiser la lutte contre la corruption, particulièrement après les projets de 2017-2018 et les manifestations qui ont eu lieu dans le pays contre la corruption. En 2018 et 2019, le gouvernement s’est donc attelé à un projet de réforme afin de corriger les problèmes de la justice, en lien avec les recommandations de la Commission européenne. En 2020, le ministre de la Justice, Cătălin Predoiu, a publié un premier projet de lois supposé résoudre les manquements précédents, en adéquation avec les décisions constitutionnelles et les ordonnances de l’UE. Il y a eu, à ce moment-là, un processus de consultation avec les différents acteurs de la justice pour mettre en place la réforme. Mais, suite à des problèmes au sein de la coalition au pouvoir, un nouveau ministre de la Justice a été nommé, Stelian Ion. En 2021, il a lui aussi publié une nouvelle version du paquet de lois, très différente du projet de Predoiu, et sans aucune consultation ni débat. Predoiu est ensuite redevenu ministre de la Justice et a de nouveau présenté un projet de réforme en juillet dernier. C’est celui-là qui nous intéresse aujourd’hui.
Ce sera le bon ?
Malheureusement, cette dernière version de la réforme, comme la précédente, a été rédigée sans aucune consultation ni débat. Le ministre a soutenu que le projet était le même que celui qu’il avait présenté en 2020, et que le processus de consultation n’était donc pas nécessaire. Plus de 600 articles ont été rendus publics en plein été, sans laisser la possibilité à la société civile de les analyser, et alors même que des associations professionnelles estimaient que le projet allait à l’encontre des directives européennes. Certes, quelques organismes ont pu donner leur point de vue en septembre, durant le mois de débat parlementaire. Mais un seul mois, c’est très court pour débattre de 600 articles et de centaines d’amendements. Tout cela pour dire que la transparence n’a pas été idéale, particulièrement pour des lois concernant le service public et qui ont des effets très concrets sur les citoyens et les justiciables. Nos attentes en tant que société est que le processus par lequel nos élus légifèrent soit transparent et inclusif, avec des débats impliquant tous les acteurs concernés. Cela n’a pas été le cas.
Quels sont les points les plus problématiques ?
Le contenu est très technique et risque d’ennuyer les lecteurs, mais je vais essayer de pointer quelques éléments que nous avons analysés avec mes collègues d’Expert Forum. Un exemple très parlant est lié au statut de la police judiciaire. La procédure qui la régit disparaît totalement de la loi qui, désormais, édicte simplement que « la police judiciaire sera réglementée par des lois ultérieures ». Cela crée un vide législatif pour tous les dossiers actuels. Certaines mesures transitoires ont été prises mais ce n’est pas suffisant. C’est une idée dangereuse que de laisser à des lois ultérieures l’organisation de tels corps de la justice. Un autre exemple est la disparition des concours pour accéder aux postes de vice-président d’instance ou de procureur adjoint. Désormais, ces postes clefs seront nommés sous proposition des procureurs en chef, mais on ne sait pas sur quels critères. Il s’agit d’un pas en arrière par rapport à un processus objectif et méritocratique. Pour résumer, ces lois ne résolvent que très peu de problèmes, en créent de nouveaux, et ce de façon très opaque. Le gouvernement s’était engagé à demander l’avis de la Commission de Venise, mais il ne l’a pas fait. La Commission n’a pu rendre qu’un avis a posteriori, et a effectivement critiqué le fait de pas avoir été consultée.
Propos recueillis par Hervé Bossy.