Entretien réalisé le lundi 27 mars dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Le canal de Bystroe, situé dans la région d’Odessa et que Kiev souhaite utiliser pour que ses marchandises rejoignent la mer Noire – en plus des canaux de Sulina et de Chilia –, a récemment été de nouveau au centre d’une polémique entre la Roumanie et l’Ukraine*. La partie ukrainienne est accusée d’avoir creusé le canal de façon illégale, sans le consentement de la Roumanie. Costin Ciobanu, chercheur de sciences politiques à l’université Royal Holloway de Londres, se penche sur les conséquences politiques de cette affaire…
Sur le plan diplomatique, comment évaluez-vous la situation concernant le canal de Bystroe ?
Personne ne s’attendait à ce que le sujet suscite un tel débat. Il est clair qu’il existe certaines tensions dans les relations bilatérales entre la Roumanie et l’Ukraine. Cela s’est également vu en décembre dernier, lorsque la question des minorités nationales a été débattue, autre sujet qui a fortement enflammé l’opinion publique. De plus, malheureusement, si l’on regarde les sondages, le soutien des Roumains à l’Ukraine est nettement inférieur à la moyenne européenne. En se développant, l’affaire du canal de Bystroe a le potentiel de faire dérailler quelque peu le soutien de Bucarest à ce pays voisin dans le contexte de la guerre. À mon sens, deux choses ressortent. Tout d’abord, je pense qu’il y a un besoin de plus de coordination entre les principales institutions qui sont en charge de cette thématique, en termes de procédures, de détails techniques, de communication avec le public. Et deuxièmement, d’un point de vue politique, il semble que certains partis politiques aient tenté d’endiguer, de réduire la croissance électorale d’AUR (Alianța pentru Unirea Românilor, parti nationaliste-conservateur, ndlr) en assumant une position à connotation nationaliste.
* Le sujet est ancien (lire cet article du quotidien français La Croix datant de juillet 2004).
Comment voyez-vous la suite des événements ?
Les deux pays ont quelque chose à perdre. Les mesures sur le canal vont continuer, les experts roumains travaillent aux côtés des Ukrainiens afin d’arriver à un dénominateur commun d’un point de vue technique. Jusqu’à présent, le débat s’est enflammé en l’absence de faits clairs et de chiffres. Or, la négociation politique ne peut réellement commencer dans ces conditions. Les déclarations sans fondements ne font que renforcer les tensions entre Bucarest et Kiev. Et valident les thèses de Moscou. Par divers vecteurs de messages, la Russie tente d’imposer l’idée que les voisins de l’Ukraine comme la Roumanie, la Hongrie ou la Pologne souhaitent sa désintégration territoriale. C’est faux, bien sûr, mais les discussions stériles autour du canal de Bystroe alimentent ce récit, elles ne font que mettre de l’huile sur le feu. Il est essentiel que cette situation se règle sereinement et que le sujet soit détaché de celui, plus large, du soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe. Dans son ensemble, la classe politique roumaine affirme clairement qu’il est très important que l’Ukraine gagne cette guerre pour une raison simple : nous voulons une région pacifiée, une région où nous ne craignons pas à chaque instant que la Russie génère des tensions de façon irréfléchie.
Comment faire pour que ce genre de controverse ne fasse pas le jeu des politiciens extrémistes et nationalistes ?
Il faut beaucoup de diplomatie et une très bonne connaissance des faits. Aujourd’hui, malheureusement, nous avons été les témoins de réactions politiques dépourvues d’éléments concrets. Avant que de tels sujets ne soient diffusés dans l’espace public, il est important qu’ils soient analysés, tant d’un point de vue technique qu’au prisme de possibles conséquences politiques et diplomatiques. Il ne s’agit pas uniquement de défendre les intérêts de la Roumanie en renversant les arguments du camp opposé à sa faveur. Il s’agit de bien communiquer avec l’État voisin, d’avoir des consultations aux niveaux technique et politique. Les dirigeants ont une grande responsabilité et devraient être davantage conscients de cette responsabilité. Or, s’ils agissent de façon impulsive, sans arguments solides, sans avoir bouclé les négociations avec la partie « adverse » et s’exposent au plus grand nombre, les formations les plus radicales se feront un plaisir d’exploiter la situation et de consolider leur emprise sur la société.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Note : fin mars, l’Ukraine a donné son accord pour que la Roumanie puisse effectuer des mesures sur les canaux de Bystroe et de Chilia afin de vérifier que les opérations de dragage n’aient pas d’impact sur la zone du delta du Danube. Début mars, les autorités ukrainiennes avaient déjà annoncé qu’elles arrêtaient temporairement leurs travaux.